Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens: pourquoi les femmes sont censées sourire, même sans raison

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

L’injonction au sourire: un mal très féminin. En tondant la pelouse ou en se présentant à la présidence des Etats-Unis, ces dames sont priées d’afficher leurs canines. Et ainsi se conformer à l’image attendue d’elles.

«Dis, souris, hein!» Euh… Et pourquoi ça, cher voisin? C’était un samedi après-midi du genre à siroter un Spritz en terrasse, pas à suer en tondant la pelouse. Et puis, la tondeuse aveugle dans cette jungle naissante venait de démembrer une grenouille (histoire vraie), la semaine avait été merdique, tout comme la vie ces derniers mois, alors vraiment pas de quoi afficher ses prémolaires.

«Vous pourriez sourire, hein.» Deux ans et demi plus tôt. Attente au bar d’un marché de Noël. Plutôt que de délivrer les vins blancs commandés, le serveur s’était permis ce commentaire, d’un ton agressif, en plus. Sourire? Pourquoi? Pour avoir commandé à boire? Plutôt pour paraître conforme à ses attentes, visiblement. «Oh, ça va, juste que vous êtes plus jolie en souriant», avait répondu le malotru après avoir encaissé un «si mon manque d’activité labiale vous dérange, je peux aussi aller dépenser mon argent ailleurs».

«Pourquoi vous ne souriez pas?» US Open 2015, conférence de presse d’après-match. Serena Williams vient de battre sa sœur, Venus. Le journaliste s’étonne de son manque d’entrain. «Pour être parfaitement honnête, je n’ai pas envie d’être ici. Il est 23 h 30, je voudrais être dans mon lit et je dois me lever tôt pour m’entraîner. Je n’ai pas envie de répondre à ces questions.» Un scribouillard sportif s’est-il déjà étonné de ne pas apercevoir les incisives de Nadal ou Federer?

«Martine [Aubry] au pays des sourires.» Titre de Libération (2010). «Débat présidentiel US: Trump attaque, Clinton sourit.» Titre d’un article de L’Obs (2016). «Portrait: derrière le sourire d’Angela Merkel.» Titre de La Libre (2016). «Marine Le Pen: une campagne du sourire et du rétropédalage.» Titre d’un reportage de TF1 (2022).

«Vous devriez sourire un peu plus»: la journaliste française Nadia Daam expliquait, en 2016, sur slate.fr, recevoir fréquemment ce genre de messages après ses interventions télévisées commentant le conflit syrien ou la dette publique – sujets poilants, vraiment. Messages ayant pour dénominateur commun de provenir «presque tous d’hommes qui, sans avoir l’impression d’être franchement désagréables, se plaignent implicitement de ne pas être divertis par mon visage». «Une femme qui ne sourit pas en permanence semble incommoder, enchaîne-t-elle. Exiger d’une femme qu’elle sourie [revient à] exiger d’elle qu’elle se conforme à une vision fantasmée de la façon dont les femmes devraient se comporter dans l’espace public.»

Brave bête, gentille fifille. Sois jolie, joyeuse, disponible, décorative. Même en tondant la pelouse.

Brave bête, gentille fi-fille. Sois jolie, joyeuse, disponible, décorative. Même en tondant la pelouse. «Sourire, chez les grands primates, chez les animaux, c’est aussi montrer qu’on n’est pas dangereux, l’autrice féministe Brigitte Laloupe dans un reportage de Franceinfo, en 2017. Donc les femmes doivent prouver en permanence qu’elles ne sont pas dangereuses.»

Sauf sur les podiums. Là, faut tirer la tronche (paraît que ça met le vêtement en valeur). «Dans un shooting, être belle et heureuse serait une agression – au contraire, plus une femme est laide ou grosse, plus elle est priée de compenser par la bonne humeur. C’est-à-dire que le physique doit être inversement proportionnel à l’émotionnel, afin qu’aucune tête ne dépasse», écrivait, en 2017, la journaliste Maïa Mazaurette dans GQ. Qui, durant toute son enfance, s’est vu reprocher d’être trop souriante. «Arrête, t’as l’air de la ravie de la crèche!» Comprenez: un peu débile. Trop sourire, pas assez: la seule constante, finalement, c’est l’injonction permanente: sois comme ceci, pas comme cela. Obéis, quoi.

Cachez ces seins…

C’était sans doute aussi gratuit que provocateur mais, en février dernier, la marque sportive Adidas lançait une pub pour vanter les mérites de son nouveau soutien-gorge, affichant 25 images de paires de seins. «Car toutes les femmes sont différentes», blablabla. Sauf qu’en Grande-Bretagne, cette campagne vient d’être interdite: jugée contraire «aux bonnes mœurs», offensante pour les femmes et inappropriées pour les enfants. Or, un sein n’est rien sans le regard lubrique de celui qui le mate…

75%

des procédures de divorce, en France, seraient initiées par des femmes, selon une récente enquête de la BBC. Contre 70% aux Etats-Unis et 62% en Grande-Bretagne. Un phénomène qui mêlerait la question de l’(in)satisfaction (les femmes auraient plus d’attentes que les hommes dans la vie commune) à celle de l’émancipation économique, surtout. Le nombre de séparations a ainsi progressé au même rythme que les droits des femmes, et c’est «loin d’être une coïncidence, selon la psychologue Heidi Kar. Il est extrêmement difficile pour les femmes de partir, à moins qu’elles n’aient un moyen de gagner de l’argent par elles-mêmes.»

La Palme d’or du sexisme

Le festival de Cannes fête cette année ses 75 ans d’existence. Et autant de Palmes d’or décernées… quasi exclusivement à des hommes. Seules deux réalisatrices ont remporté le prestigieux prix: Jane Campion, en 1993, et Julia Ducournau, en 2021. Selon le collectif 50/50, sur 1 727 films présentés en compétition, à peine 82 ont été réalisés par des femmes.

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