Une merveilleuse folie

Guy Gilsoul Journaliste

Depuis plus de quarante ans, le couple Christo-Jeanne Claude a imaginé des ouvres éphémères qui sont parmi les plus spectaculaires de l’art contemporain. Over the River est leur dernier projet. A découvrir en pré-vision à Knokke.

Oui, c’est une folie, expliquait Jeanne Claude quelques mois avant sa mort survenue en 2009. Rien ne la justifie. Elle est aussi irrationnelle qu’inexplicable mais ce sera très beau. « 

Et comme chaque fois, monumental. En août 2014, cela se passera dans le Colorado, le long de la rivière Arkansas et sur une longueur de 60 kilomètres entre la ville de Salida et Canyon City. Soit un ruban de toile translucide de 10 kilomètres suspendu depuis les berges à des hauteurs qui varient de 2,40 à 7, 60 mètres et interrompu huit fois par la présence d’un pont, d’un massif d’arbres ou de rochers. Ainsi, depuis la route qui serpente à une certaine hauteur, le cours de la rivière sera-t-il  » occulté  » par des rubans argentés (protecteurs ?) qui agiront comme des miroirs vibrant au gré des vents. Mais on pourra aussi, en kayak par exemple, passer sous le voile et deviner, à travers lui, le profil des montagnes et le jeu des nuages.

Deux semaines après cet incroyable chantier, tout sera démonté. De cette £uvre pharaonique, il ne restera pour ceux qui auront eu la chance d’en faire l’expérience, que le souvenir. Pour les autres, des dessins préparatoires comme ceux proposés à la vente dans la galerie de Guy Pieters et qui servent à financer le projet. Derrière ce  » dernier enfant  » du couple se cache un travail de titan. Christo et Jeanne Claude auront ainsi parcouru plus de 20 000 kilomètres et suivi le cours de 89 rivières avant de choisir ce fragment de l’Arkansas River. Ensuite, comme pour chacun des projets, il aura fallu faire de multiples recherches de faisabilité technique, envisager les conséquences écologiques et… convaincre les populations locales. Bref, obtenir les permis. Dans le cas de cette dernière £uvre Over the River, plus de vingt ans séparent l’idée de la réalisation qui, en final, coûtera la bagatelle de 50 millions de dollars.

S’émerveiller, oui mais…

Si, dès le début des années 1960, l’artiste, émigré clandestin bulgare, emballe dans du plastique divers objets, il ne vise ni la société de consommation (c’était l’heure du pop art) ni le mystère (comme le fit le surréalisme). Très vite, en effet, son propos contient une dimension politique. Dès 1962, en effet, il barre une petite rue parisienne du Quartier latin en élevant un mur qui aussitôt fait écho à cet autre, construit quelques mois plus tôt, en plein c£ur de Berlin. Désormais, avec la complicité de Jeanne Claude rencontrée à Paris, il va, depuis New York où le couple s’installe en 1964, empaqueter des monuments symboliques comme le Reichstag de Berlin ou le mur de Marc-Aurèle, à Rome. L’£uvre se développera alors autour de l’idée d’artificialité des frontières (une côte empaquetée en Australie, un ruban coupant artificiellement un paysage, un voile occultant une vallée, des îles encerclées au large de Miami). Mais aussi sur la notion de liberté qu’offrent les passages et les traversées lumineuses (dans Central Park, sur le Pont- Neuf de Paris et, cette fois, par-dessus l’Arkansas River).

Knokke-Heist, galerie Guy Pieters, Kustlaan 279. Jusqu’au 5 septembre. Tous les jours, sauf le mardi, de 11 à 18 heures. www.guypietersgallery.com

GUY GILSOUL

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