Une idée en trompe-l’oeil

STéPHANE RENARD

En politique, l’approche d’une ligne d’arrivée justifie souvent des raccourcis peu glorieux. Non, décidément, les élections n’ont jamais été propices aux débats de fond. A la veille des législatives du 18 mai prochain, une nouvelle démonstration de cette triste habitude vient d’être administrée par André Flahaut, suivi aussitôt par Daniel Ducarme. En proposant d’associer les militaires à certaines tâches de police, le ministre de la Défense a remis sur la table un vrai problème – la sécurité des citoyens – en se servant de la pire des armes, la démagogie. Quant au président du MR, qui s’est empressé, dans la foulée, de proposer un plan Vigipirate à la belge, il en a rajouté une louche. Médiocre mais sans surprise. Lors des élections précédentes, déjà, la sécurité était devenue brutalement un thème d’avant-scrutin, pour retomber ensuite dans un quasi-oubli. Or, s’il est un enjeu qui mérite une vraie réflexion et, surtout, de vraies réponses, c’est celui-là.

Bien sûr, l’idée de Flahaut paraît frappée au coin du bon sensen raison, d’une part, de la surcharge des policiers, trop peu nombreux, et, d’autre part, de la sous-occupation chronique de nombreux militaires. Bien obligé de suivre, Antoine Duquesne (MR), ministre de l’Intérieur a donc conclu, en quatrième vitesse, un accord avec son collègue de la Défense. Emballé, c’est pesé: un projet de coopération police/armée devrait être soumis au gouvernement pour la fin du mois.

L’idée ne résiste pourtant pas longtemps, qu’on l’accueille à chaud ou qu’on l’analyse à froid.

Le coup de sang, d’abord. La présence de l’armée aux côtés de la population lors de coups durs, comme des inondations, n’a jamais posé de problèmes. Le législateur belge l’a bien compris, lui qui autorise d’ailleurs le recours aux militaires dans des circonstances exceptionnelles (émeutes, etc). Pour confirmer une situation existante, il n’était nul besoin de se livrer au cirque actuel!

En revanche, il est impossible d’admettre la présence de l’armée dans les rues pour des tâches de maintien de l’ordre au quotidien. Il s’agit là du triste privilège des dictatures.. Certains ont déjà rétorqué que nos amis français, peu suspects de totalitarisme, avaient bel et bien mis en place leur fameux plan Vigipirate. C’est oublier que la Belgique n’est pas la France, dont le rôle international lui a déjà valu de payer un lourd tribut aux attentats terroristes: le plan français répondait, hélas, à de sanglantes réalités, et il n’est pas irraisonnable de le réactiver dans les circonstances actuelles.

Quant à faire croire que l’armée va résoudre les problèmes que ne maîtrise plus la police, ce qui est le message sous-jacent du discours actuel, c’est une escroquerie intellectuelle. Si tel était le cas, pourquoi les banlieues françaises, dont l’audiovisuel hexagonal aime tant filmer les nuits d’émeutes et les voitures qui flambent, ne sont-elles pas quadrillées par des bataillons en treillis?

Alors, assez de caricatures, place au décodage.

1. Une bonne dose d’électoralisme. Sur ce plan, Flahaut a pris la main, en dribblant ses partenaires. Voilà un beau but à trois points! D’abord, il séduit l’électeur adepte d' »évidences ». Secundo, il chipe un thème cher au MR, qui n’en finit pas de se chercher une place au centre droit, mais pas trop à droite, pour rester au milieu afin d’un peu racler à gauche… Dur, dur, de se faire doubler par un socialiste wallon, qui, tertio, enfourche – là aussi, ce n’est pas innocent – le cheval de bataille sécuritaire, traditionnellement nordiste….

2.Une improvisation navrante. La précipitation – on parle déjà de modifications législatives…- est stupéfiante face aux enjeux. Dans un Etat de droit, qui n’est actuellement pas au coeur de la menace terroriste, n’en déplaise à son orgueil de poucet politique, on ne bouscule pas les rôles d’institutions telles que la police et l’armée avec la même facilité que l’on redessine un uniforme. Et certainement pas à quatre mois d’élections, avec un budget ficelé, sauf à jouer avec le feu.

3. La mémoire courte. Toute cette hâte signifie-t-elle que la réforme des polices, laborieusement mise en place après un accouchement au forceps, est déjà condamnée, alors qu’elle n’a qu’un an d’existence? On aimerait entendre l’argumentation de ceux qui l’ont portée sur les fonts baptismaux, avec la bouche en choeur, mais appellent déjà les militaires à la rescousse… Non, décidément, la graisse électoraliste est de la bien mauvaise graisse.

Mais que l’on ne se trompe pas pour autant de combat. S’il faut refuser un rôle policier de l’armée dans la rue, tant pour des raisons de fond que de forme, il faut, aussi, avoir le courage de ne pas nier l’existence du problème de la sécurité des citoyens et le sentiment d’insécurité qui a gagné du terrain. Car voilà le vrai danger. Il est de bon ton, parmi une certaine intelligentsia, de traiter avec un relatif mépris les craintes des « petites gens » à l’égard de la « petite criminalité ». Ce dédain n’est pas admissible. Accepter que certains quartiers soient devenus des zones de non droit désertées par la police, trouver inévitable que les adolescents se fassent « taxer » leur GSM dans un transport en commun par des forts en gueule ou de franches crapules, ne plus déposer plainte pour un vol d’autoradio parce que « cela ne sert quand même à rien », c’est refuser de prendre en compte l’évolution d’une société. Une telle démission face à ces nouvelles réalités, aussi déplaisantes soient-elles, signifie l’abdication face à la délinquance. Et cette attitude-là ouvre tout grand un boulevard à l’extrême droite. La leçon infligée à Lionel Jospin à ce propos a valeur d’exemple.

Si nos politiques se disent soudain préoccupés par la sécurité de leurs concitoyens, qu’ils donnent donc, enfin, aux policiers les moyens d’être efficaces, et qu’ils accroissent les effectifs indispensables à cette proximité voulue par tous. Non pas pour « fliquer » à tour de bras, mais simplement pour rendre à la puissance publique, garante du bien commun et de l’intégrité de chaque individu, la visibilité qu’elle a perdue.

En proposant d’associer l’armée aux tâches de police, le gouvernement, titillé par les élections du 18 mai prochain, prétend affronter un vrai problème – la sécurité des citoyens – avec la pire des armes: la démagogie

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