Une forteresse intime

Si le bonheur se distribue comme dans une loterie, il ne se mérite pas. Dès lors, peu importe ce que nous faisons ?

Norbert Kleist, Bruxelles Nombre d’effets heureux ou malheureux qui nous concernent sont imprévisibles. Ils nous tombent dessus. Sommes-nous responsables de ce qui nous arrive en bien comme en mal ? Un des thèmes de la Réforme portait sur le problème de la grâce en tant que don que Dieu fait (ou ne fait pas) au fidèle pour lui permettre d’assurer son salut. Laissé à lui-même, l’homme, affaibli par la tare originelle, en est incapable. Seule la grâce û don de Dieu û lui en donne la force. Selon quels critères ? Ceux de la divine providence, impénétrables à la raison humaine. Comme à la loterie,  » il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus « . On est sauvé si on vit en bon chrétien. La foi chevillée au corps. Semblablement, le bonheur, quand il vous échoit, est le signe que vous avez été  » choisi  » pour être heureux. La Contre-Réforme catholique affirme au contraire que  » la foi sans les £uvres est une foi morte  » . Semblablement, le bonheur résulterait de notre effort pour l’acquérir.

Certes, des événements û bons ou mauvais û s’emparent de nous comme par surprise. Pour d’autres, nous tentons de les accueillir ou de les éviter, avec un succès variable. Reste en nous le sentiment désespérant que nous ne maîtrisons pas grand-chose. Il y a cependant une façon de maîtriser l’imprévisible, c’est de construire une part au moins de notre sentiment intime de bonheur comme à l’abri des avanies de l’extérieur. Plusieurs conduites entrent en jeu pour ce faire. La première est une sorte d’indifférence û intellectuelle û face aux événements. Ma part personnelle y est si petite : un accident, une maladie, un échec affectif ou professionnel… Certes, je peux gloser, après coup, sur ce que j’aurais pu faire (ou ne pas faire) : principe de précaution, meilleure compréhension des situations, moyens plus appropriés. Mais l’événement malheureux a eu lieu. Il me reste à prendre mon parti de l’imprévisible concret, des autres et de mes propres faiblesses. Je n’en serai pas consolé pour autant.

Aussi faut-il y adjoindre un second comportement, une sorte de plaisir intime qui se développe autour d’un intérêt majeur : l’art, un savoir connaître, un savoir-faire, un dévouement à une cause (à une personne, pourquoi pas ?). Certes, il n’est pas question de mettre en branle cette attitude quand le malheur survient. Cette forteresse intime doit être bâtie au long des années pour nous offrir l’abri de ses murailles quand le malheur est là. Il est vrai qu’elle ne résiste pas toujours, mais cela vaut la peine d’essayer.

Jean Nousse

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