Une chasse équitable ?

Pratiquée depuis plus de trois siècles, la chasse aux phoques ne conserve-t-elle pas, aujourd’hui, une certaine justification ? Après tout, les pêcheurs de la région sont condamnés à l’inactivité partielle, en hiver, quand les eaux du golfe se figent. Ils sont, surtout, durement secoués par la récente crise de la morue. A cette question, la réponse des militants de la cause animale est catégorique : toute chasse commerciale doit être bannie, purement et simplement. Et remplacée, par exemple, par des activités d’écotourisme, axées sur l’observation des animaux vivants, comme trois compagnies américaines le proposent déjà avec des succès variables.

Néanmoins, si l’on s’efforce de gommer les réactions émotionnelles et les réflexes anthropocentriques devant un tel spectacle, il faut s’interroger : n’est-il pas significatif que Greenpeace, qui était rapidement venu seconder le Fonds mondial (Ifaw) dans son combat des années 1970, a aujourd’hui quitté les lieux ? De même, le World Wide Fund for Nature (WWF), l’association au petit panda, ne fait visiblement pas de cette chasse aux phoques un de ses chevaux de bataille et travaille prioritairement sur la protection des baleines et des coraux. C’est que le phoque du Groenland n’est pas inscrit, loin s’en faut, sur la liste officielle des espèces menacées. Alors ?

De retour à Charlottetown, nous tentons d’en savoir plus sur le sentiment de la population locale à l’égard de cette chasse.  » En onze années de travail sur l’île, je n’ai jamais assisté à une manifestation en faveur de la protection des phoques, explique Ron Ryder, journaliste au Guardian. Les gens d’ici sont, certes, sensibles à la souffrance des animaux. Mais, dans la balance, ils nourrissent davantage de sympathie pour les pêcheurs, car toute l’économie de notre petite province ( NDLR : la province maritime de l’Ile-du-Prince-Edouard) û mais aussi l’héritage historique et culturel û est basée sur la pêche à la morue et au hareng.  »

Le fond du problème serait-il ailleurs ?  » La pêche, un peu partout, est devenue une activité industrielle, continue le journaliste. Mais pas ici. A part le remplacement de la voile par le moteur, rien n’a changé depuis deux siècles : les mêmes animaux sont chassés par les mêmes lignées de pêcheurs-chasseurs, selon les mêmes méthodes. Aussi, lorsque le ministre John Crosby, originaire de Terre-Neuve (!), a proclamé le moratoire sur la chasse à la morue, en 1992, la population des îles s’est sentie profondément trompée par son ôhéros ô local : la classe politique n’avait rien fait, rien anticipé, rien prévu pour enrayer le déclin de cette espèce fétiche ! Dès lors, quand les autorités, aujourd’hui, désignent le phoque comme le principal responsable du déclin de la morue et quand elles fixent des quotas de chasse plus généreux qu’autrefois, elles tentent de se racheter aux yeux de l’opinion et d’offrir une image protectrice de l’économie locale.  »

Le phoque du Groenland serait-il un bouc émissaire bien commode ? Si cette hypothèse se confirme, la chasse à grande échelle ne serait alors qu’une façon de gommer l’imprévoyance des autorités dans leur  » gestion  » des ressources naturelles canadiennes, trop longtemps considérées comme des puits sans fond. Cette analyse n’est, somme toute, pas très éloignée de celle des défenseurs des animaux. Car, pour le Fonds mondial (Ifaw), le bénéfice économique net retiré par chaque pêcheur, à l’issue de deux ou trois semaines de chasse intensive (entre 700 et 1 400 euros), ne vaut pas une telle cruauté. A fortiori, lorsque les objets fabriqués à partir de phoques ne sont pas vraiment indispensables, en ce début de xxie siècle, à la survie de l’espèce humaine.

 » L’histoire de la conservation de la nature nous enseigne qu’un écosystème ne se réduit jamais à deux éléments (en l’occurrence, le phoque et la morue), explique le zoologiste David Lavigne. Le régime alimentaire du premier se compose, certes, du second à raison de 2 à 3 %, mais aussi de 60 espèces d’invertébrés et d’autant de poissons fins. Ce genre de relations est très complexe à étudier. Lorsque le gouvernement brandit ses modèles mathématiques û par ailleurs dépassés û pour affirmer que cette chasse est ô soutenable » à long terme, il n’est pas crédible. La seule certitude, à l’heure actuelle, c’est que les eaux du Nord-Est atlantique canadien sont surexploitées par la pêche. Comme 75 % des océans du monde…  » Ph.L.

Philippe Lamotte

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