Un président, sinon rien

par Raymond Bruyer, professeur à l’UCL, membre du Cercle républicain (CRK)

Je ne puis adhérer au récent éditorial (Le Vif/L’Express du 29 novembre 2002) de Jean-François Dumont, relatif à l’agitation de notre landerneau politique autour de la récente proposition Ecolo de revoir la fonction royale. Dans ce texte, l’éditorialiste considère que le roi est un « symbole nécessaire », dans la mesure où, même si la monarchie n’est peut-être pas le « ciment » qui tiendrait la Belgique ensemble, elle resterait la meilleure formule pour incarner l’identité d’un pays si complexe – ce que les écolos auraient sous-estimé.

Avant tout, je voudrais souligner deux choses. D’une part, il me plaît d’observer que, pour la première fois dans la grande presse belge, un journal respectable met en doute le rôle unificateur du monarque. C’est en effet l’argument qui est le plus souvent avancé pour justifier le maintien d’une monarchie en Belgique. Il suffit, pour être convaincu de la faiblesse de cet argument, de se souvenir que la fameuse « question royale » a conduit à l’abdication de Léopold III parce que celui-ci a dû prendre acte du fait qu’en dépit d’un référendum qui était favorable à son retour au pouvoir, les régions belges avaient des avis clairement distincts : favorable en Flandre, mais légèrement défavorable à Bruxelles et nettement défavorable en Wallonie. Léopold a parfaitement compris que, s’il se cramponnait à son trône, il provoquerait l’éclatement du pays. De même, comme le signale d’ailleurs Le Vif/L’Express, on sait que les Flamands ont un vieux grief relatif au fait que les rois belges seraient traditionnellement francophones. Ces deux exemples suffisent à donner raison à l’éditorialiste : non, le roi n’est pas le ciment de l’unité nationale. Un argument majeur des monarchistes tombe.

D’autre part, il m’apparaît que la proposition écologiste est trop frileuse (même si elle a donné des frissons a posteriori à l’état-major du parti, au vu des réactions étrangement rapides des autres partis). En effet, il ne s’agit pas de réduire dans un premier temps le rôle du roi à des fonctions purement protocolaires, pour ensuite installer la république : c’est d’un régime républicain que nous avons besoin d’emblée, si l’on veut prétendre vivre dans un régime démocratique.

L’éditorialiste montre, très justement, que les pouvoirs du roi se sont fortement érodés au cours des dernières décennies, par suite de la fédéralisation de la Belgique et de l’insertion de celle-ci au sein de communautés internationales, comme l’Union européenne. Fort bien, mais alors avons-nous encore besoin d’un roi ? Il reste, en effet, le pouvoir et l’arbitrage informel du roi, qu’aucune règle écrite ne vient sanctionner. L’auteur considère que c’est une influence qui n’est que « très circonstancielle et qui ne risque pas de s’accroître ». Et alors ? Même si c’est très circonstanciel, il demeure que c’est toujours en période critique pour la Belgique (la formation des gouvernements fédéraux) et, en tout état de cause, il est démocratiquement inadmissible qu’un citoyen non élu, « nommé » à vie et qui n’a de comptes à rendre à personne dispose d’un tel pouvoir. On se souviendra à cet égard des tentatives, heureusement avortées, que Léopold II avait entreprises en vue de donner au roi le droit de consulter la population par voie de référendum : un tel dispositif aurait fait de la Belgique un Etat de non-droit, où le roi aurait pu imposer des lois au nom du référendum, méprisant ainsi la fonction législative du Parlement et la séparation des pouvoirs.

La proposition d’Ecolo est « discordante avec le sentiment global de bienveillance que la population manifeste à l’égard de la monarchie » écrivez-vous. Je n’ai jamais pu souscrire à cette assertion souvent réitérée dans les médias et qui n’est fondée sur aucune analyse sérieuse. Sur ce point, il serait grand temps de réaliser une étude scientifique construite – par des professionnels et de manière indépendante – pour connaître réellement la position des Belges à cet égard et, surtout, les divergences de vues entre les régions du pays, en particulier à l’intérieur de chaque région. C’est important, car il s’agit là d’un autre argument essentiel des monarchistes.

Enfin, l’éditorial conclut qu’un régime alternatif conduirait forcément à « une présidence qui serait probablement toujours flamande », brandissant cela comme une menace ou une tare. C’est oublier un peu vite qu’un système républicain ne conduit pas nécessairement à un régime présidentiel fort comme on en connaît en France, en Irak, en Russie ou aux Etats-Unis. Il existe en effet des républiques parfaitement démocratiques où le président, constitutionnellement, n’a guère de pouvoirs : on connaît le chancelier allemand, mais qui connaît le président ? On connaît le Premier ministre israélien, mais qui connaît le président d’Israël ? Qui connaît le président de la Confédération helvétique ? Notre future Constitution pourrait parfaitement définir une présidence qui n’aurait guère de pouvoirs et, dans ce cas, quelle importance qu’elle soit flamande ? Cette même Constitution pourrait par ailleurs prévoir une alternance régionale de la fonction présidentielle. Il n’y a donc pas de quoi s’inquiéter de ce côté-là…

En démocratie, il n’est pas admissible qu’un citoyen non élu, qui n’a de comptes à rendre à personne, dispose d’un tel pouvoir

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire