Un pirate autodidacte

Guy Gilsoul Journaliste

Qui était Leo Dohmen dont une cinquantaine d’ouvres surréalistes ont été réunies au Musée de la photographie de Charleroi ? Un provocateur ? Un jouisseur ? Un malin sans scrupule ?

Imaginez notre homme, sur la digue quelque part du côté d’Ostende en compagnie d’une mignonne mineure d’âge. Sous le manteau – nous sommes en 1965 – il vend des photographies érotiques. Pas de chance, la police le remarque, l’embarque et le met au cachot pour pornographie après avoir, sur la lancée, perquisitionné son appartement où des £uvres de Max Ernst et de Marcel Duchamp constitueront des pièces à charge. La leçon porte : il ne fera plus jamais de photo. On pourrait croire le mauvais garçon rangé. Que nenni ! A l’ombre, il fait la connaissance d’un marchand incarcéré pour escroquerie. Bientôt, il travaillera pour lui. Puis deviendra galeriste à son tour. En réalité, il est depuis belle lurette un redoutable vendeur d’art, prêt à tout pour tirer la langue aux bien-pensants quitte à leur vendre le meilleur et le pire. Puis encaisser. A Anvers, sa galerie (Le Temps) ressemble davantage à un lieu de dépôt. Une vitrine officielle. Le vrai travail se fait à la maison. De la cave au grenier, tout y est fait pour attirer l’amateur. Sur les murs, une collection impressionnante d’£uvres dont certaines acquises par les voies les plus tordues et d’autres au moment où personne n’en voulait, comme sa collection de meubles et autres objets 1900. Mais, entre ces moments d’extases esthétiques, il en est d’autres qui s’expérimentent au sous-sol où entre mannequins de cire, billards et bars lourds en bouteilles tous calibres confondus, la vie se conjugue au seul mot de  » plaisir « .

En réalité, Leo Dohmen (1929-1999) pratique la vie en surréaliste. Sans morale, sans remords, avec, en sus, ce goût pour les épices de la provocation. C’est à lui que l’on doit, par exemple, un billet de 100 francs à l’effigie de René Magritte au moment où ce dernier commençait à être reconnu. Et donc vendu. Ne craignant aucune contradiction, il rencontra les Breton, Tzara, Ray et autres Bellmer, la crème des surréalistes parisiens à qui il vendait les périodiques belges. Certes, il pouvait manier l’appareil photo, les techniques d’impression, les subtilités, mais tout cela l’intéressait moins qu’une bonne et terrible image qui puisse remuer les cervelles endormies. Alors, de collages en photomontages, il signe une £uvre curieuse dont on devine, à chaque carrefour, la transparente insolence.

Né en 1929 d’un père conducteur de tram, rien ne le prédisposait ni à une activité de galeriste et moins encore à celle de photographe. Certains avaient pu miser un temps sur ses qualités de scientifique. Chimiste redoutable, il fut en effet assez vite engagé par la firme Gevaert pour laquelle il mit au point quelques inventions aussitôt brevetées. Inventeur certes, mais pas fou. Il en ferait donc commerce. Dohmen était d’abord un malin sans scrupule. Or cette qualité incarnait un des aspects fondamentaux du surréalisme à la belge manière. Magritte avait donné l’exemple. Mariën, plus jeune, reprendrait le flambeau. Leo Dohmen serait son complice. Ses photographies en sont aujourd’hui l’écho.

Copyright Leo Dohmen, Musée de la photographie, 11 avenue Paul Pastur, 6032 Charleroi. Jusqu’au 17 janvier. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. www.museephoto.be

A noter les deux autres expositions en cours : Quelque chose (des images anonymes prises à la sauvette dans l’intimité du cadre familial) et Maurice Derenne, un Belge en Chine (1911-1927).

GUY GILSOUL

Dohmen était d’abord un malin sans scrupule

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