Un pays peut-il tomber en faillite ?

La situation budgétaire très délicate de la Grèce et la fragilité des finances d’autres pays européens ont brusquement réveillé les craintes liées à l’endettement des Etats. Faut-il s’inquiéter de l’ampleur des déficits publics ? Une nation peut-elle tomber en faillite ? Théoriquement, non. Mais…

Il y a un peu plus d’un an, en pleine crise financière, les Etats ont joué les pompiers de service pour venir en aide aux banques. Mais aujourd’hui, c’est à la caserne que ça sent le roussi : les pays ont vu leur déficit grandir sensiblement à cause des sauvetages bancaires mais aussi parce que la crise économique amoindrit les rentrées d’argent public et requiert des politiques de relance onéreuses. Si bien que les marchés se sont mis à douter de la capacité de remboursement des pays les plus fragilisés, comme la Grèce.

On peut mesurer la confiance qu’inspire un Etat en observant le niveau du taux d’intérêt auquel celui-ci peut emprunter de l’argent. Ce taux est fixé sur le marché des obligations étatiques qui sont des titres de dettes publiques. Car les pays ne financent pas leur budget uniquement par le biais de l’impôt. Ils doivent aussi emprunter de l’argent régulièrement pour gérer leur dette. Pour ce faire, les Etats, qui sont tous endettés dans une certaine mesure, émettent des obligations. Lorsqu’ils sont à maturité, généralement après plusieurs années, ces titres donnent droit à un remboursement du montant confié au pays émetteur, augmenté des intérêts. Etant donné que des obligations étatiques émises dans le passé arrivent régulièrement à échéance, il faut en émettre de nouvelles pour honorer les remboursements. C’est pourquoi les Etats ont intérêt à pouvoir emprunter à des taux relativement bas.

D’où l’importance du taux assigné à chaque pays sur le marché des obligations étatiques. Celui-ci est l’un des plus gros du monde mais aussi l’un des plus liquides, c’est-à-dire que l’offre et la demande y sont très fournies, ce qui fluidifie les transactions. Sur ce marché, la règle de base est relativement simple : quand on observe une augmentation de la demande d’obligations d’un pays, le taux auquel cet Etat peut emprunter diminue. Et si la demande se réduit, le taux augmente. C’est une application de la loi de l’offre et de la demande : si beaucoup de personnes veulent acquérir des obligations d’un pays, c’est-à-dire lui prêter de l’argent, ce dernier pourra se permettre de proposer des taux assez bas ; par contre, si les amateurs d’obligations de cet Etat se font rares, celui-ci devra augmenter ses taux d’intérêt pour être certain de trouver preneur. La demande d’obligations étatiques est donc un bon indice de la confiance du marché envers un pays.

Or, fin janvier, la demande de titres obligataires grecs a chuté, ce qui a fait grimper le taux d’intérêt auquel la Grèce peut emprunter à un niveau inquiétant. Le 28 janvier, le taux de l’obligation grecque a atteint plus de 7 %. C’est un niveau considéré comme très élevé par rapport au taux du  » bund  » (obligation) allemand, qui dépasse à peine 3 % et fait figure de référence sur ce marché. Cette tension du marché obligataire étatique a provoqué une inquiétude généralisée dans le monde financier, si bien que les marchés d’actions ont eux-mêmes piqué du nez début février.

La situation grecque est-elle vraiment grave ?

Si les investisseurs sont devenus méfiants à l’égard des obligations grecques, c’est à cause de l’ampleur du déficit public de ce pays. Athènes reconnaît que son budget est dans le rouge à concurrence de plus de 12 % du produit intérieur brut (PIB) pour l’exercice 2009. Quant à l’endettement de la Grèce, il pourrait atteindre 125 % du PIB cette année. Or le traité de Maastricht, fondement de l’Union économique et monétaire européenne, prévoit que les Etats membres ne peuvent laisser filer leur déficit annuel au-delà de 3 % du PIB et que leur dette ne peut dépasser 60 % de leur PIB… Les problèmes budgétaires helléniques ont suscité bien des questions : la Grèce risque-t-elle de devoir quitter la zone euro, la monnaie unique est-elle un échec, l’Etat grec mais aussi l’Espagne ou encore le Portugal pourraient-ils se retrouver en situation de faillite ?

Confrontés à ces questions, les économistes se montrent généralement rassurants. Ils soulignent tout d’abord la santé plutôt bonne de la zone euro dans son ensemble. Certes, les problèmes grecs ont pesé sur la devise européenne au cours des dernières semaines. Mais si la monnaie unique a subi un revers, elle n’a pas pour autant perdu pied. L’euro affiche toujours plus de 1,25 dollar, niveau qui était déjà le sien en février 2009. L’Union économique et monétaire européenne reste donc solide grâce aux pays qui bénéficient d’une situation budgétaire plus favorable.

Il faut aussi relativiser le problème grec lui-même.  » La Grèce n’a pas un poids économique énorme dans la zone euro et ne va donc pas la fragiliser « , considère Micael Castanheira, professeur d’économie à l’ULB. En outre, selon une spécialiste du marché des changes,  » on a le sentiment que tout le monde est en train de découvrir une situation qui était pourtant déjà bien connue. Quand la Grèce a intégré la zone euro, on savait qu’elle avait usé de window dressing ( NDLR, littéralement,  » constitution d’une vitrine « ), c’est-à-dire d’artifices, pour atteindre les critères lui permettant d’accéder à la monnaie unique « . Bref, la situation budgétaire précaire de la Grèce aurait été un secret de Polichinelle. Cet économiste va plus loin :  » Si on s’inquiète pour la dette grecque, il faut se préoccuper de la situation de bien d’autres pays. Ce serait remettre en question un système monétaire qui a mis une dizaine d’années à créer sa crédibilité et celle de sa banque centrale.  » Un scénario inimaginable, aussi bien pour les économistes que pour les dirigeants européens qui ont encore affirmé leur confiance dans la monnaie unique à l’occasion du sommet organisé à Bruxelles le 11 février.  » Revenir en arrière pour retrouver la situation d’avant l’euro coûterait tellement cher et provoquerait de tels dégâts que ce serait la pire des solutions « , estime cette spécialiste. De toute façon, dans les milieux économiques,  » pas grand monde ne croit que les problèmes de la Grèce peuvent aboutir à une démolition de la zone euro « , affirme Micael Castanheira.

Il n’en reste pas moins qu’après avoir focalisé toute leur attention sur le secteur financier, les investisseurs ont à présent les yeux rivés sur le baromètre budgétaire des Etats. Cette soudaine préoccupation est-elle justifiée ? Y a-t-il vraiment un risque de dérapage susceptible de provoquer la banqueroute pure et simple d’un pays ?  » Techniquement, un Etat ne fait pas faillite, indique Micael Castanheira. Un pays peut faire défaut mais ne peut pas, à l’instar d’une entreprise, déposer son bilan et fermer ses portes ! Par contre, un Etat pourrait décider de ne pas rembourser une partie de sa dette.  » De telles décisions ne sont toutefois survenues que dans des circonstances historiques exceptionnelles, car chaque pays a besoin de la confiance de ses partenaires économiques pour fonctionner convenablement. Les seuls cas de non-remboursement de dettes étatiques sont liés à des moments d’instabilité politique, comme la Révolution russe, la fin de la République de Weimar ou des renversements de régimes en Amérique latine. Des pays récemment mis en difficulté au point de vue économique, tels que l’Argentine ou l’Islande, continuent à rembourser leur dette, fût-ce au prix d’une douloureuse rigueur budgétaire.

Si l’on considère qu’en théorie un pays ne peut pas faire faillite, c’est justement parce qu’il s’agit d’un Etat, c’est-à-dire d’un pouvoir ayant la capacité de lever des impôts sur son territoire. En principe, il suffit à un gouvernement d’alourdir sa fiscalité pour combler le déficit budgétaire. Mais, en pratique, ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord, politiquement, il est difficile de se résoudre à augmenter les prélèvements fiscaux. Une mesure aussi impopulaire est l’un des plus sûrs moyens de ne pas être réélu aux élections suivantes… Ensuite, la pression fiscale ne peut pas être augmentée au-delà d’une mesure raisonnable. Sans quoi, les contribuables finiront par pratiquer l’évasion fiscale, c’est-à-dire la recherche de tous les moyens possibles pour éviter l’impôt. Cela se traduirait par des migrations vers des pays fiscalement moins rigoureux ou encore par le développement d’une économie souterraine. Bref, tout est une question d’équilibre. D’une part, les Etats doivent lever suffisamment d’impôts et maîtriser leurs dépenses pour éviter de creuser leur déficit et d’aggraver leur dette. D’autre part, ils doivent se montrer prudents lorsqu’ils manient l’arme fiscale car, s’ils ont la main trop lourde, leur politique provoquera un effet pervers : la diminution des rentrées budgétaires au lieu de leur augmentation.

Il arrive que des pays ne parviennent pas à cet indispensable équilibre. Généralement, leur situation devient alors d’autant plus préoccupante que, dans le même temps, le taux auquel ces Etats peuvent emprunter sur le marché augmente sensiblement, ce qui les empêche de se financer par endettement : le coût serait exorbitant. Dans un tel cas de figure, l’Etat en difficulté fait généralement appel au Fonds monétaire international. Le FMI peut en effet octroyer des crédits en faveur d’un pays dont les difficultés budgétaires risquent de provoquer une désorganisation interne. En échange, l’Etat ainsi aidé doit s’engager à respecter des critères stricts pour remédier à ses difficultés. Début février, les Grecs ont craint une mise sous tutelle du FMI qui aurait impliqué des contraintes sévères en matière de dépenses publiques. Reste que la solution mise en place par les dirigeants européens implique une surveillance des finances publiques grecques à la fois par l’Union européenne, par la Banque centrale européenne et par le FMI… Mais la situation budgétaire de la Grèce est bien sûr beaucoup moins préoccupante que celle des pays les moins avancés de la planète. Plusieurs pays en voie de développement doivent non seulement faire appel au FMI mais également à la Banque mondiale, qui les épaule financièrement. Par exemple, fin 2009, la Banque mondiale a octroyé une aide de 19 millions de dollars (14 millions d’euros) au Burundi pour moderniser l’infrastructure de son secteur financier et améliorer sa réglementation.

Et la Belgique ?

Les pays de l’Union européenne qui présentent une dette publique et un déficit budgétaire préoccupants sont évidemment loin d’être aussi mal en point au point de vue économique. Il n’empêche que leur situation budgétaire n’est pas de nature à rassurer les marchés. Outre la Grèce, on cite l’Irlande et les économies méditerranéennes (Espagne, Portugal, Italie) parmi les moins bons élèves de la classe européenne. Puis c’est la Belgique qui est en ligne de mire. Peut-on s’en inquiéter ?  » Par définition, les grands pays comme l’Allemagne sont les références en matière de gestion de la dette et seront les derniers inquiétés « , explique un analyste spécialisé dans les devises.  » Les critères utilisés n’ont pas changé : ce sont principalement les déficits et la hauteur de l’endettement. Or, au point de vue du coût de financement de sa dette, la Belgique a toujours été considérée comme moins stable, presque comme l’Italie. Mais une étude récente place notre pays plutôt dans le ventre mou du classement des moins bons élèves à cet égard. L’écart entre le taux des obligations à 10 ans belges et celui des  » bunds  » allemands est de l’ordre d’une centaine de points, ce qui correspond à peu près au niveau que l’on connaissait avant l’adoption de l’euro. « 

 » La Belgique et l’Italie ont des dettes plus élevées que la Grèce mais s’en sortent, estime quant à lui Micael Castanheira. La Belgique a montré qu’elle a la capacité de rembourser sa dette quand il le faut. Elle a démontré qu’elle bénéficiait d’une bonne maîtrise technique de la gestion de sa dette. De plus, notre système fiscal était plutôt équilibré au cours des dix dernières années. Et à la différence de la Grèce, notre pays n’a pas annoncé de déficit réduit qui se serait avéré ensuite beaucoup plus élevé. C’est donc vraiment une question de confiance.  » Et le niveau de la dette belge est aujourd’hui bien moins préoccupant que celui de la Grèce et que les niveaux constatés au début des années 1990. Pour rappel, notre dette publique avait culminé à 133,5 % du PIB en 1993. Elle a ensuite diminué de manière constante jusqu’en 2007 (84,2 % du PIB) avant de remonter à 89,8 % du PIB en 2008 et de repasser au-delà de 95 % du PIB en 2009. Selon les prévisions, l’endettement de la Belgique devrait même revenir à un peu plus de 100 % du PIB cette année. Notre produit intérieur brut, soit le total de la valeur des biens et services produits en Belgique en un an, s’élève à quelque 330 milliards d’euros. Que la dette publique dépasse ce montant ne serait évidemment pas une bonne chose mais ne signifierait pas pour autant que le pays serait en faillite. Par contre, ce serait un signe de plus des indispensables efforts budgétaires à fournir à l’avenir.

Un dernier élément est de nature à rassurer les marchés à propos de la situation de la Belgique : notre pays n’a pas de déficit extérieur systématique. Bon an, mal an, les exportations couvrent les importations. L’endettement extérieur du pays n’augmente donc pas. C’est important car les Etats qui présentent des déficits extérieurs importants voient leur consommation financée par des crédits en provenance de l’étranger. Ces pays ont alors une dette collective à l’égard du reste du monde, ce qui n’est pas le cas de la Belgique. Certes, notre pays emprunte en partie à l’étranger, mais les Belges possèdent eux aussi des titres de dette étrangers. C’est encore un équilibre de plus à tenter de maintenir…

Pour plus d’informations sur la dette publique belge, consultez le site de l’Agence de la dette : www.debtagency.be

Philippe galloy

l’union économique et monétaire européenne reste solide

Notre pays n’a pas de déficit extérieur systématique

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