Un patron condamné, et après ?

La condamnation d’un patron pour discrimination est une première. Mais il reste du chemin à parcourir avant que les immigrés aient les mêmes chances que tous sur le marché de l’emploi. Surtout en temps de crise…

Enfin une victoire judiciaire ! Le 28 août, la cour du travail de Bruxelles a estimé qu’il y avait bien discrimination dans le dossier Feryn. La société de Kapelle-op-den-Bos, près de Malines, est spécialisée dans l’installation de portes de garage. En 2005, son patron avait publiquement déclaré dans la presse qu’il refusait d’engager des candidats d’origine marocaine parce que ses clients n’en voulaient pas. La condamnation d’un patron belge pour discrimination est une première. En outre, l’affaire fera jurisprudence au niveau européen, car elle a occasionné une question préjudicielle auprès de la Cour de justice européenne, à Luxembourg.

Il y a de quoi se réjouir qu’une décision de justice soit enfin tombée dans un dossier de ce type. Surtout après le fiasco de l’affaire Adecco. Poursuivie pour avoir établi des formulaires internes décrivant les demandes de ses clients avec la mention BBB (blanc bleu belge), la société intérimaire s’était vue absoute, fin juin, pour une question d’emploi des langues dans la procédure judiciaire à Bruxelles. Une histoire belge…

Si la condamnation de la société Feryn est encourageante, elle s’inscrit néanmoins dans un contexte qui reste préoccupant. En 1998, l’Organisation internationale du travail (OIT) avait réalisé des tests de situation auprès d’employeurs des trois Régions du pays. Ceux-ci avaient reçu une fausse lettre de candidats marocains pour des emplois semi-qualifiés. Résultat : à l’issue de tous les stades de recrutement, on constatait une discrimination dans 27 % des cas, avec un pic plus élevé en Flandre. Dix ans plus tard, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) faisait un constat identique :  » En Belgique, le chômage des immigrés est près de deux fois et demie supérieur à celui des autochtones.  » Selon l’OCDE, les travailleurs les plus discriminés sont des femmes originaires de pays n’appartenant pas à l’Union européenne : seulement un tiers d’entre elles ont un emploi.

Parmi les 1 700 dossiers que le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR) a traités en 2008, un sur cinq concernait la discrimination à l’emploi.  » C’est énorme car il s’agit de la face émergée de l’iceberg, explique Edouard Delruelle, directeur du CECLR. Beaucoup de personnes discriminées n’osent pas porter plainte, ne savent pas comment faire ou n’ont tout simplement pas conscience d’être traitées différemment en fonction de leur origine. Ces dix dernières années, la discrimination à l’embauche ne diminue pas. Au contraire. « 

Une nouvelle campagne

Et cela risque de ne pas s’arranger avec la crise économique. En période difficile, les populations les plus fragilisées restent sur le carreau. D’où l’importance de la campagne Cast me que vient de lancer le CECLR : pour sensibiliser les employeurs du pays, deux CV identiques leur seront envoyés, l’un avec la photo d’un jeune dont l’apparence et le nom sont d’origine étrangère, l’autre avec le même jeune au look et au patronyme plus européens. Il est significatif que, pour participer à cette campagne, plus de 4 000 jeunes se soient inscrits au casting. C’est dire s’ils se sentent concernés.

Les organisations patronales semblent, elles aussi, vouloir faire évoluer les mentalités, mais surtout pas de manière contraignante. Souvent montré du doigt en matière de discrimination, le secteur du travail intérimaire est chapeauté par une fédération (Federgon) qui se démène pour faire entendre raison aux agences d’intérim, avec un succès néanmoins relatif. Dans l’accord interprofessionnel 2007-2008, les partenaires sociaux sont convenus d’étendre la convention collective de travail 38, consacrée au recrutement, à l’interdiction de la discrimination.  » C’est un pas en avant, une belle déclaration de principe, mais cela n’a pas encore permis à un travailleur de porter plainte « , constate Jean-François Macourt, du service d’étude de la FGTB.

Reste l’épineuse question des tests de situation. Ceux-ci étaient prévus par la loi antidiscrimination de 2003 : sous contrôle d’un huissier, des  » testeurs  » enverraient de fausses candidatures auprès d’employeurs soupçonnés de discrimination, ce qui permettrait de confondre ces derniers devant un tribunal. Mais les patrons et les libéraux flamands ont calé net sur la mesure. Conséquence : aucun arrêté d’exécution ministériel n’a été signé. Et, lorsque la loi a été révisée en 2007, les tests sont tombés aux oubliettes. La nouvelle législation prévoit néanmoins que des sanctions financières (six mois de salaire) soient infligées aux entreprises reconnues coupables de discrimination. Jusqu’ici, aucun tribunal n’a pris une telle décision.

Lassé de voir la situation stagner, voire s’aggraver, la FGTB pourrait bientôt passer à la vitesse supérieure. A la suite de l’abandon des poursuites contre Adecco, en juin, le syndicat socialiste a menacé de rendre publique la liste des cent entreprises clientes d’Adecco, qui avaient réclamé des intérimaires BBB. Parmi celles-ci, on trouve de grandes entreprises (constructeur automobile, sociétés de conseil…). Dénoncée par les patrons et par la CSC, cette mise au pilori aurait pour but, selon la FGTB, de secouer les entreprises récalcitrantes.

THIERRY DENOËL

les plus discriminés : les femmes originaires des pays hors ue

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