Un pastiche, sinon rien

Barbery, Pancol, Signol et même le cultissime Millénium revus et réinventés par Pascal Fioretto… En exclusivité pour Le Vif/L’Express, des morceaux choisis dans son nouveau recueil, L’Elégance du maigrichon. Imitation plumes garantie !

Le pastiche, imitation du style, de la manière d’un écrivain, est un art noble. Racine, Boileau, Marivaux, Balzac, Proust, Raymond Queneau, Jean-Louis Curtis s’y sont adonnés. Pascal Fioretto, notre contemporain, en a fait sa spécialité. Après Gay Vinci Code, puis Et si c’était niais ?, où une dizaine de célèbres écrivains français en prenaient pour leur grade, il récidive en détournant les best-sellers de Muriel Barbery, Stieg Larsson, Katherine Pancol, Christian Signol, Eric-Emmanuel Schmitt, Patrick Modiano, Philippe Sollers, Guillaume Musso et Philippe Delerm. Au prétexte d’une intrigue policière loufoque, la mystérieuse disparition du père Plasson, meunier du petit village de Courtonac, L’Elégance du maigrichon livre neuf textes souvent désopilants. C’est peu dire que Pascal Fioretto déride la rentrée littéraire !

zig Larsen

Milliardium (tome IV). Les femmes qui n’aimaient pas les hommes qui n’avaient pas d’allumettes (roman traduit du suédois par Speedtraduk.fr)

 » Micael Boulkshitt arriva à 11 h 43 devant l’agence de la Caisse d’Epargne de Courtonac. Il appuya discrètement sur le bouton « REC » du mini-magnétophone Samsung ZM 3 400 qu’il dissimulait dans sa poche. La microcassette DNK de 120 minutes se mit aussitôt à tourner à 23 tr/min. Il avait calculé que cette vitesse d’enregistrement lui offrait une autonomie de 60 minutes par face. Depuis l’affaire de l’OPA du Crédit Municipal d’Örgäs-moestrë sur la Bank oef Norskjbörn, grâce à laquelle il avait fait tomber le gouvernement de Thorbjörn Fälldin, Micael savait que rien ne vaut un bon enregistrement pirate pour confondre un banquier. Il avait aussi appris que la plupart des financiers étaient des pervers corrompus qui n’hésiteraient jamais à le poursuivre en justice pour diffamation s’il les traitait de vicieux pourris dans les colonnes de Milliardium. A cause de ces salauds, le magazine croulait sous les poursuites et les condamnations [à]. Micael avait loué un gîte à Courtonac dans le cadre de sa contrenquête pour Milliardium sur l’affaire Magnus Oloffson, ministre des Affaires étrangères suédois qui faisait passer ses dépenses de minibar en notes de frais [à]

A la résidence-hotel des Tilleuls, Silveth Salamalander ouvrit la boîte en carton rectangulaire d’un rapide coup d’ongle sur le ruban autocollant. D’une maigreur remarquable, elle flottait dans son T-Shirt XXL sur lequel était écrit, en lettres gothiques, « I’m famous in Uppsala ». Quand elle avait besoin de réfléchir, la jeune femme ne portait qu’une culotte. Elle s’alluma une cigarette avec du feu, considéra attentivement le contenu du carton devant elle et démarra son MacBook en soufflant la fumée par ses narines. Elle avait choisi un DDR3, dans la version NVidia9400M, sur lequel elle avait demandé à son revendeur habituel d’implanter le processeur Penryn 2,4 GHz avec 3 Mo de cache en L2 et plus de 512 Mo de RAM [à].

Après que il avait fini son rendez-vous à la banque, Micael se sentit revivre en dirigeant l’air parfumé du soir dans ses voies respiratoires. Tout à son soulagement, il se surprit sur le fait de chantonner Le Pasteur incestueux de Göteborg, lorsqu’il perçut une voix féminine juste à l’arrière de lui. « 

Katherine Plancol

La Valse jaune des tortues-crocodiles

 » Comme chaque matin, Karine s’arrêta à la réception de la Résidence-Hôtel des Tilleuls pour se plaindre de l’absence d’eau chaude dans sa salle de bains. Comme chaque matin, Yvonne Delval, la directrice de l’établissement, la regarda avec mépris en lui tendant son courrier [à]

Outre l’hebdomadaire féminin pour lequel elle travaillait, il y avait, dans le tas d’enveloppes, une lettre de son avocat lui annonçant l’échec de la procédure de divorce à l’amiable avec son ex, le renvoi de son fils du collège pour  » attitude inappropriée  » en cours de français, une mise en demeure de son coach de Pilates pour absence non justifiée aux cours, une publicité pour des fenêtres isolantes en aluà

Bref, des emmerdes, encore des emmerdes, toujours des emmerdes.

Mais pourquoi avait-elle fait suivre son courrier pendant ses vacances à Courtonac ? Parce que tu es trop conne, ma pauvre Karine !

Elle en avait sa claque, sa dose, ras le sac Longchamp, plein le brushing. Elle se sentait fontaine siphonnée, coupe qui déborde, patchwork décousu. Elle était arrivée à « Peux plusà », Karine. Qu’on l’empêche de crier et elle se serait cassée en mille morceaux. Et plus jamais elle ne se serait recollée. D’ailleurs, elle y pensait de plus en plus souvent, Karine, à se casser [à].

Le flot de ses pensées bouillonna de plus belle. Pour gagner du temps, elle décida de la tenue qu’elle mettrait après sa douche : la sublime saharienne parme, le chemisier crème + la broche fantaisie (celle offerte par ce salaud de Philippe), le large ceinturon en coton frangé sur une jupe mi-saison, des mocassins plats. Et tant pis si le talon revenait à la mode. Elle s’en foutait, Karine. A qui devait-elle plaire désormais ? On était encore hors saison et il n’y avait que des ploucs dans ce bled. Elle raya la ligne « fringues » sur le Post-It qu’elle avait collé dans un coin de sa mémoire et passa aux autres points stabilotés de sa job list. Régler chauffe-eau, lire horoscope, réclamer pension à l’autre con, décongeler saumon, drainer cuisses, changer photo Meetic, épiler maillot, réserver Megève, parfumer rideaux, composer bouquet, étirer lombaires, infuser thé vertà sans oublier de consacrer un quality moment aux enfants. Endless, la job list. Hopeless, sa life. L’existence lui sembla soudain si cruelle que ses yeux se gonflèrent de larmes qu’elle écrasa du coin de sa langue. Ne pas craquer. Les enfants ne comprendraient pas. Allons, ma vieille, tu es une battante dans la tourmente, c’est tout.

C’est tout, mais c’est tellement beaucoupà « 

L’Elégance du maigrichon et autres pastiches, par Pascal Fioretto. Chiflet & Cie, 200 p. Parution le 17 septembre.

Muriel Burbery

L’Elégance du maigrichon

 » La question « qui suis-je ? » admet-elle une réponse exacte ? Je me prénomme Yvonne. Depuis les années soixante-dix, je suis la directrice de l’Hôtel des Tilleuls [à] Je suis laide, longiligne, trop raide, habillée comme Michèle Alliot-Marie, hebdomadairement chignonée de près par Yvette Vasseur, peu amène avec la clientèle, pincée et, à en croire certains regards interdits, intrusive et cassante. Conséquemment, on m’apprécie fort peu, mais on s’accommode toutefois volontiers de cet état de fait, tant il correspond ab hoc et ab hac à l’idée immanente qu’un certain sectarisme social, que je qualifie volontiers d’épizootique eu égard à sa propagation au sein des troupeaux panurgiques qui traversent en bêlant les longs mois de villégiature, se fait de la petite patronne de droite d’un hôtel de province français. Et puisqu’il est établi, une fois pour toutes, que lesdites propriétaires d’hôtel sont illettrées et sécuritairement préoccupées, j’ai cru bon de parachever ma conformité sociotypique au moyen d’un doberman irascible et d’un abonnement à Télé Z. [à] Pour parfaire mon camouflage, j’ai disposé un détecteur de présence à la réception de l’hôtel. Qu’un visiteur y pénètre et mon téléviseur s’allume illico sur la chaîne AB Moteurs tandis que mon poste de radio se met à diffuser Radio Courtoisie, le volume sonore des deux récepteurs étant préalablement réglé de façon à tonitruer de concert, accréditant ainsi l’idée que je suis non seulement amatrice du pays réel et de sports mécaniques vulgaires mais, de surcroît, frappée de presbyacousie symétrique, cette surdité feinte présentant l’avantage de pouvoir faire répéter ad libitum à mes interlocuteurs dont j’ai remarqué que l’aménité décroît proportionnellement au nombre de redoublements de leurs requêtes, leurs insignifiantes paroles.

Mon image de directrice réac ainsi consolidée, moi, claquemurée dans ma tanière secrète où règnent une curiosité et une appétence sans limite pour la Connaissance, la Citoyenneté, la Révolution numérique, le Design, la Biodiversité, les métiers de l’Ecrit, les Obama, la Bioéthique, le Hip-hop, la photographie, les Installations, la Fureur de Lire, le Jeune Cinéma, l’Intelligence, la Fête des Jardins, le Web 2.0, les Rétrospectives Konchalovskyà je laboure sans hâte le champ des possibles et me cultive sans relâche. « 

Christian Pignol

Les Engoulevents de la Grange-aux-Loups (prix  » Fonds de terroirs  » de l’Ecole des Grives)

 » L’hiver, la Glavoise est un torrent boueux dont les flots tumultueux charrient des arbres morts, des rochers noirs et des sangliers surgelés [à] Un peu en aval, la route en pierres traverse le moulin abandonné du père Plasson. Devant le triste spectacle des ronces qui dévorent les meulines à foulon et les flaterets à courroie, on a bien du mal à croire que, jadis, les ânes, les b£ufs et les femmes de Courtonac déchargeaient là leurs ballots de bressac frais pour qu’on les y moulût.

[à] Un glacial jour de février, au cours d’un hiver comme on n’en avait pas enduré depuis bien longtemps, le père Plasson débaroula du godivot de brassage où il était monté frictionner une jarjille. Emporté par les jaumières de recoupe, il se débattit entre les pognards des jambailles, réapparut à l’aplomb des queutards, descendit à grand fracas la jambe de chien tribord, disparut entre deux meules et ne remit plus jamais les pieds au village.

[à] Jamais on ne retrouva le corps du moulineur, ni sa bamborgne en écume de bruyasse, ni sa coiffe de burtonge. Le moulin du père Plasson se tut et, dans le silence qui saisit la vallée, les questions se mirent à tourner comme des vesons cendrés à la recherche de musaraignes [à] Il n’en fallut pas plus pour que certains commençassent à raconter que le père Plasson avait survécu à sa noyade dans la Glavoise et qu’il s’était enfui avec son secret. « 

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