Un pas vers l’union

Oui à l’intégration politique, mais pas sans solidarité ; oui à la rigueur budgétaire, mais pas sans croissance. Sous la pression des pays du Sud, le dernier sommet de Bruxelles a donné lieu à un rééquilibrage prometteur.

De l’improvisation, du suspense, des rebondissementsà Ce pourrait être un résumé du Conseil européen, décisif, qui s’est tenu la semaine dernière à Bruxelles. De la dramaturgie, en somme, mais sans drame. En menaçant de faire capoter un sommet qui s’annonçait aussi paisible que peu consistant, Espagnols et Italiens ont pris un gros risque. Et fait souffler, avec la complicité de François Hollande, un vent de folie sur l’auguste bâtiment Justus Lipsius, où se tenait la réunion. Avant de décrocher, au bout de la nuit, un accord synonyme de rééquilibrage pour l’Europe. Désormais en état d’avancer sur ses deux jambes, le Vieux Continent peut aussi envisager une union renforcée. A condition bien sûr d’être capable de passer de la théorie à la pratique.

Fin tacticien, familier des mécanismes communautaires, le chef du gouvernement italien, Mario Monti, est monté au front au nom des pays du Sud encalminés. Avec le soutien du chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, il a menacé de ne pas signer le pacte de croissance voulu par le président français, en échange de la signature du pacte budgétaire exigé par Angela Merkel. Une man£uvre osée mais parfaitement calculée : l’ancien commissaire européen savait que la chancelière devait revenir avec un accord à Berlin, où le Parlement votait, le lendemain, le Mécanisme européen de stabilité (MES).  » Super Mario  » a ainsi arraché le kit d’urgence dont son pays avait besoin : la possibilité donnée aux Etats mis sous pression par les marchés de se financer directement auprès des fonds de secours européen. Une bouffée d’oxygène pour Rome.

Euphorie dans les Bourses d’Europe du Sud

Mais c’est sans doute en Espagne que le soulagement est aujourd’hui le plus grand. Rajoy le conservateur, complice d’un soir de Monti, a défié la chancelière allemande et obtenu ainsi le pare-feu qu’il était venu chercher pour ses banques, asphyxiées par les mauvaises créances immobilières. Elles pourront être recapitalisées par le MES, doté de 800 milliards d’euros, sans que cela ne vienne alourdir la dette de l’Etat espagnol.  » Le fait d’avoir brisé le lien entre dette publique et dette bancaire est l’un des points les plus satisfaisants de l’accord « , juge Natacha Valla, chef économiste chez Goldman Sachs.

Pour couronner le tout, Italie et Espagne ont obtenu ces dérogations sans devoir, en contrepartie, passer sous les fourches caudines de la troïka – la commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE). Et donc sans se faire imposer un nouveau plan de rigueur.  » Comme ces pays avaient déjà mis en £uvre des plans d’économies drastiques, il leur a été plus facile de plaider leur cause « , ajoute Natacha Valla. Grâce à l’appui de la France, les deux pays finalistes de l’autre Euro ont ainsi réussi là où la Grèce, soupçonnée de laxisme impénitent, avait tragiquement échoué.

Cette avancée a rendu les marchés financiers euphoriques. Toutes les Bourses d’Europe du Sud ont enregistré des progressions inédites depuis le début de l’année.  » Au-delà du soulagement, on a le sentiment que ce Conseil a répondu à nombre de questions que l’on se posait, ajoute un financier. Et, surtout, que l’on traite les sujets dans l’ordre.  » Du concret, d’abord, pour calmer la tempête ; des projets, ensuite, pour doper la croissance ; un horizon, enfin, l’union budgétaire et politique.

Certes, le bout du tunnel est encore loin.  » Le diable est dans les détails, rappelle Bruno Cavalier, chef économiste d’Oddo Securities. Beaucoup de choses dans l’accord de la semaine dernière demeurent floues.  » Ainsi, François Hollande a indéniablement marqué un point politique en faisant adopter son pacte pour la croissance. Mais cela ne peut être qu’un commencement. D’abord, parce que la majeure partie des 120 milliards d’euros concernés correspond à des fonds structurels déjà inscrits au budget, mais mis en réserve. Ensuite, parce que la croissance ne se décrète pas. Faute de marges de man£uvre budgétaire supplémentaires, confrontés aux limites des politiques d’austérité et aux ravages de la désindustrialisation, l’Union européenne comme les Etats qui la composent devront faire preuve en la matière de volontarisme et d’imagination.

L’union bancaire mise en £uvre en 2013

Reste le chantier de l’Europe politique et budgétaire. Lui aussi a progressé, quoique par petites touches. L’avancée la plus substantielle concerne l’union bancaire, réclamée par Berlin – et qui a permis à la chancelière, avec l’adoption du pacte budgétaire et l’abandon des eurobonds, de faire mieux que sauver la face. L’objectif est de donner à la BCE un pouvoir de surveillance sur l’ensemble des banques de la zone euro. Et d’éviter ainsi que les Etats et leurs superviseurs nationaux ne soient tentés de dissimuler trop longtemps les bombes cachées dans les bilans de leurs établissements financiers. Il faudra cependant attendre début 2013 pour que cette union puisse être mise en £uvre.

 » Il ne s’agit pas de vainqueurs et de vaincus « , n’a cessé, depuis la fin du sommet, de marteler François Hollande, afin de ménager l’orgueil allemand. Mais la France comme la zone euro sont bel et bien engagées dans une course de vitesse : il leur faut à la fois juguler la spéculation, mettre de l’ordre dans leurs comptes et relancer la croissance avant que l’Union européenne ne soit emportée dans la spirale de la défiance et de la récession. Le Vieux Continent est encore loin d’avoir remporté cette course vitale. Mais il a fait – enfin ! – un premier pas.

BENJAMIN MASSE-STAMBERGER

Il s’agit d’éviter à l’Union d’être emportée dans la spirale de la récession

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