Un marché adulte

Plus besoin d’être ado ou initié : de la gym aux exercices de mémoire et à la vie pratique, le public des consoles s’élargit. L’arrivée en Belgique de la Wii Fit devrait bousculer bien des habitudes.

Les Japonaises ne pensent qu’à ça. Depuis quatre mois, dans plus de 2 millions de foyers de l’archipel nippon, c’est pompes, abdos-fessiers et étirements au quotidien. Lancé fin novembre 2007, Wii Fit fait un carton à Tokyo comme à Kyoto. En attendant la Belgique, où elle sera lancée le 25 avril prochain. Cette balance ultrasensible va chambouler l’image des jeux vidéo. Et devrait faire adopter ceux-ci par un public beaucoup plus large, de 7 à (presque) 77 ans.

Révolue l’ère des jeux confisqués par les gamins boutonneux et boulimiques, scotchés des heures durant à leurs joysticks, et (trop) approvisionnés en sandwichs et en sodas. Aujourd’hui, note un représentant du fabricant de consoles Nintendo,  » plus de 50 % des nouveaux utilisateurs sont des femmes « , et  » presque autant ont plus de 26 ans « . Ce qui a su séduire ce nouveau public ? Le travail de la tête et des jambes à portée d’écran. Une tendance née il y a maintenant cinq ans avec des titres comme EyeToy Kinetic (Sony), un coach virtuel qui mesure le rythme de votre petite foulée grâce à une caméra intégrée. Mais qui prend son ampleur avec l’arrivée de nouveaux utilisateurs, décidés à acquérir le coup droit de Roger Federer ou l’agilité intellectuelle de son ambassadrice publicitaire Michèle Laroqueà

La console qui incarne le plus cette tendance est la Wii. Mise au point en 2005 par une entreprise japonaise plus que centenaire – Nintendo vendait des jeux de cartes dès 1898 – elle a changé radicalement l’approche des jeux vidéo. Oh, certes, les geeks n’y verront pas un bijou de technologie ! Là où ses concurrentes, la PS 3 de Sony ou la Xbox 360 de Microsoft, font office de télévision, vidéoclub ou chaîne hi-fi dernier cri, la Wii, bien moins chère – 249 euros, contre au minimum 279 pour ses challengers – propose un écran quasi nu, mais qui saità détecter chacun de nos mouvements Et cela plaît manifestement : selon l’institut NPD, il se vend déjà plus de Wii aux Etats-Unis que de Xbox ou de PS 3.

Son principal atout est la simplicité. Bien loin de la vingtaine de touches qui existaient sur le joystick de la GameCube, l’ancienne console de Nintendo, le fabricant a misé sur une télécommande sensorielle (voir ci-dessus).  » Notre principal défi a été de mettre au point un appareil qui rassure les non-initiés « , expliquait au magazine Business Week Shigeru Miyamoto, le gourou de l’entreprise et le créateur, au début des années 1980, de Super Mario. Elaborer des logiciels qui ne soient pas trop chronophages fait aussi partie du cahier des charges des nouveaux programmes ; il ne faut pas moins de deux cents heures pour venir à bout d’un jeu d’aventures comme le fantastique Final Fantasy. Certes, les jeux de bataille, à l’instar du jeu de rôles Mass Effect ou celui de combat BioShock, ont toujours un public fervent. Mais on joue désormais de plus en plus utile. Ainsi du Code de la route, mis au point par Atari, ou des exercices sur mobile, chers à Vivendi Games. La palme de la bonne conscience revient tout de même au Programme d’entraînement cérébral du Dr Kawashima – suite de quiz logiques censés redonner une vitalité à nos méninges. En Europe, plus de 5 millions d' » élèves  » assidus, souvent des mamies, ont déjà mesuré leur âge mental ces derniers mois. Le savoir-vivre n’est pas oublié. Common Sense donne un  » minimum de culture générale « , en même temps que des réponses aux petits tracas de la vie de tous les jours.  » Histoire de ne pas vous retrouver devant un Van Gogh et le confondre avec un Picasso, ou ne pas savoir à table où placer votre couteau « , survend fièrement le fabricant. Nadine de Rothschild a du souci à se faireà Selon la société de recherche IDC, le marché de l’e-learning a représenté 10,8 milliards de dollars en 2007.

Eviter la surenchère technologique

En plus d’être un juteux business, l’essor de ces nouveaux marchés permet de rompre avec une fuite en avant particulièrement onéreuse. En cause : la recherche d’un graphisme toujours plus soigné qui a fait grimper en flèche les coûts de fabrication de chaque jeuà L’adaptation de Spiderman n’a-t-elle pas coûté la bagatelle de 35 millions de dollars ? Le seul titre Super Smash Bros. Brawl a mobilisé quelque 900 personnes pendant trois ans au Japon. Résultat, comme au cinéma, quand un jeu ne marche pas, c’est une catastrophe pour le studio – le français Atari, qui se bat pour sa survie, en est une parfaite illustration.

Les pros du jeu sont acculés. Ou bien ils obtiennent des économies d’échelle, à l’image d’Electronic Arts qui espère mettre la main sur Take Two Interactive, dans la foulée de l’achat d’Activision par Vivendi Games lancé il y a deux mois. Ou bien ils développent des jeux grand public, sans surenchère technologique. Le coût d’un bon titre grand public se situe ainsi  » entre 50 000 et 2 millions d’euros « , jusqu’à 20 fois moins cher qu’un titre classique, ce qui explique leur multiplication aujourd’hui. Pour le plus grand bonheur des nouveaux joueurs. Et, bien sûr, de leurs abdos-fessiers. l

Guillaume Grallet

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