Un héritage piégé

La fin de législature est nerveuse et revêche. Le prochain gouvernement devra neutraliser les mines oubliées en dernière minute par Guy Verhofstadt et les partis de l’arc-en-ciel

Depuis le mercredi 9 avril, la Chambre et le Sénat sont dissous, la campagne électorale est officiellement lancée et, pourtant, les tracas ne manquent pas pour le gouvernement Verhofstadt – désormais en  » affaires courantes  » -candidat à sa propre succession. C’est que la législature s’est achevée sur plusieurs notes discordantes, faisant craindre des lendemains qui déchantent. Mardi, à la Chambre, la majorité n’a même pas été en mesure de réunir le quorum nécessaire pour voter les 2 dernières lois en suspens, laissant une détestable impression de fin de régime.

Aujourd’hui, même les certitudes ont cessé de l’être. La réforme fiscale, si chère aux libéraux, est ouvertement contestée par les partenaires socialistes et écologistes, qui la jugent – un peu tard – trop coûteuse. La pseudo  » modernisation  » des administrations publiques tourne carrément au cauchemar. En juillet 1999, c’était cependant la priorité n° 1 de l’équipe Verhofstadt, soucieuse de marquer une franche rupture avec la Belgique de Dutroux et de la dioxine. Hélas ! le plan  » Copernic «  n’a jamais fait illusion. Les méthodes du privé ne passent pas la rampe, les 60 000 fonctionnaires fédéraux semblent déboussolés et la politisation reste la règle non écrite. Aujourd’hui, Ecolo et, surtout, le PS viennent d’asséner le coup de grâce à la réforme, rejetant notamment le plan de carrière – et les nombreux tests de compétence – concocté pour les agents de rang A (universitaires).

Quant à la fameuse révision de la Constitution, passage obligé pour une nouvelle adaptation des structures de l’Etat, elle promet bien du plaisir aux prochains gouvernants. Au Sénat, une seule petite voix a sauvé toute la procédure de révision, soutenue par une majorité très, très ténue.

Seul signe d’apaisement, ces derniers jours, les libéraux flamands du VLD ont laissé entendre qu’ils pourraient adoucir leur opposition à l’octroi du droit de vote aux non-Européens (pour les élections communales de 2006), un souhait unanime des partis francophones. Le lendemain, toutefois, le président du VLD, Karel De Gucht, durcissait à nouveau le ton. La peur du Vlaams Blok, sans doute… Bref, les sources de tension ne manquent pas. D’autant qu’après les élections du 18 mai, l’argent sera plus que jamais le nerf de la guerre. Cette fois, plus question de partager les fruits de la croissance, comme en 1999 et 2000. De réels arbitrages politiques seront nécessaires. A la SNCB, par exemple, où le plan d’entreprise soigneusement reporté après le scrutin promet de belles empoignades : il faudra assumer une douloureuse réduction d’effectifs et répondre aux exigences de régionalisation très vivaces en Flandre.

Bien sûr, il ne faut pas exagérer les passes d’armes préélectorales. C’est un phénomène classique. Pour mobiliser les militants et convaincre l’électeur, il est de bon ton de titiller les partenaires, de marquer des points à haute valeur idéologique et d’insister sur les différences avec les autres partis, surtout si elles sont de moins en moins apparentes. C’est comme cela qu’il faut analyser les escarmouches qui ont précédé le détricotage de la loi de compétence universelle, permettant de juger en Belgique des criminels de guerre ou génocidaires. Une question mineure, finalement, eu égard aux divergences de fond sur des questions comme la sécurité, la fiscalité ou le financement des fonctions collectives de l’Etat. Mais, en pleine guerre d’Irak, la  » gauche  » a ainsi pu démontrer son intransigeance à la  » droite « , embarrassée sur le terrain diplomatique par les plaintes en justice contre Ariel Sharon, George Bush père et Colin Powell (lire en p.9).

Futiles, donc, ces prises de bec ? Peut-être. Dès le verdict des urnes, la seule arithmétique des coalitions possibles gomme traditionnellement toutes les spéculations et il n’est pas rare que des partis politiques qui s’affrontent durant la campagne s’unissent juste après dans l’allégresse. En l’occurrence, toutefois, la ligne de fracture entre gauche et droite devrait laisser des traces. Depuis plusieurs semaines, en effet, toutes les discordes entre francophones opposent systématiquement le Mouvement réformateur (MR) au pôle de gauche constitué par le PS et Ecolo. Ces joutes ont souvent eu le Parlement comme théâtre. Forcé d’approuver en un temps record des dizaines de lois en enfilade, très conciliant avec l’agenda imposé par le gouvernement, incapable de faire face à l’absentéisme de ses membres, celui-ci ne sort pas réhabilité de la frénésie surréaliste des derniers jours.

Philippe Engels

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