Un contrepoids au lobby financier européen

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Finance Watch, une ONG créée pour faire entendre une voix différente de celle du puissant lobby financier européen, tombe à pic : en pleine crise, une autre façon de voir pourrait se révéler bien utile.

Il y avait comme un malaise. Le mot, lâché par le commissaire européen en charge du Marché intérieur et des Services financiers, Michel Barnier, résume bien la délicate position de la Commission européenne, à la recherche, à l’extérieur, de compétences techniques qui lui font défaut en interne mais, du coup, suspectée d’être trop soumise aux experts. Et, en particulier, aux diktats des banques, fonds d’investissement et autres agences de notation. Du coup, le Français avait appelé, en novembre dernier, à un rééquilibrage entre les lobbies bancaires et financiers et les représentants de la société civile, inaudibles sur les questions de finances.

Car les experts en tous genres qui éclairent les autorités européennes sur les enjeux des débats en cours sont rarement neutres. Même s’ils sont tenus de s’engager à agir dans l’intérêt général. Or les représentants du secteur bancaire et financier, connu pour disposer de moyens lourds et être plus actif encore que le lobby des agriculteurs, sont archi-dominants dans certaines commissions de travail qui entourent Michel Barnier. Ainsi, au sein du groupe relatif au marché des systèmes de paiement, on compte 43 banquiers, assis face à un représentant du monde académique, deux conseillers gouvernementaux et un syndicaliste.

D’après le recensement effectué par Alter-EU, une association spécialisée dans le suivi du lobbying européen, le secteur bancaire est surreprésenté dans 11 des 25 groupes d’experts qui conseillent l’Europe sur les questions de régulation financière. Un déséquilibre dangereux pour un système qui se veut démocratique. Bien sûr, la matière est complexe et ceux qui la maîtrisent ne sont pas nombreux. Il n’en reste pas moins choquant de voir certains députés copier-coller, dans leurs propres amendements, les arguments déployés par de grandes banques privées.

Une quarantaine d’associations

C’est dans ce contexte que l’ONG Finance Watch a vu le jour, à la suite de l’appel lancé en juin 2010 par 22 députés européens, las de voir défiler dans leur bureau tous les lobbys de l’industrie financière, mais personne pour leur faire contrepoids. Jusqu’alors, même si certaines ONG intervenaient parfois dans le débat financier, aucune ne tenait ce rôle de manière systématique ni ne relayait un plaidoyer axé sur l’intérêt public. Le mouvement était lancé : à la fin de l’été 2010, 88 élus avaient adhéré à l’appel initial. La première assemblée générale constitutive de Finance Watch, ONG de contrepoids, s’est tenue le 30 juin dernier à Bruxelles.

Dirigée par le Français Thierry Philipponnat (lire encadré) elle réunit une quarantaine d’associations (dont le Réseau de financement alternatif et la Centrale nationale des employés de la CSC, tous deux belges), ainsi que 17 experts qui la soutiennent à titre individuel. Les élus politiques ne peuvent en devenir membres.

Dotée d’un budget de 2 millions d’euros par an, récoltés pour moitié auprès de donations et de particuliers et, en phase de lancement, pour moitié auprès de la Commission européenne, Finance Watch emploiera à terme une douzaine de collaborateurs.

Sa mission sera triple : constituer un centre d’expertise financière indépendant, défendre une contre-argumentation auprès des instances européennes, via le lobby et la communication, et sensibiliser le grand public à la question de la régulation financière.

Aux Etats-Unis, on note, parmi les organisations similaires, Americans for Financial Reform qui réunit 250 ONG, Better Markets, qui promeut l’intérêt public sur les questions financières ou encore le Tax Justice Network (réseau pour la justice fiscale), qui lutte pour une meilleure régulation des paradis fiscaux.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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