Un chic type

Les parents l’aiment un brin moralisateur et n’hésitent pas à mettre leurs rejetons en présence de miteuses contrefaçons. Les enfants, eux, n’aiment que le vrai Saint Nicolas. Le plus magnifique des donateurs, qui n’attend en retour ni merci ni repentance

Ce vieillard est un mystère. Entre la vérité et son reflet, il y a de quoi perdre la tête. En matière d’intuition, les enfants sont rois. Et ils sentent bien, eux, que ce personnage n’est pas tout à fait net. Sinon, pourquoi tant de bambins pas spécialement couards auraient-ils pour seule obsession, le jour venu, de s’enfuir des genoux du grand saint trônant sur son fauteuil enluminé, honteux de leurs propres larmes? C’est là, sans doute, que réside la bizarrerie: Saint Nicolas, les mômes ne l’aiment jamais autant que lorsqu’ils ne le voient pas. Pour les parents, c’est juste l’inverse: ils espèrent ardemment le rencontrer, en chair et en os, en présence de leur progéniture, dans l’espoir absurde que celle-ci tienne les serments murmurés – difficile de résister à la pression morale – dans la barbe du vieillard immortel. Qu’est-ce cela, sinon de très vilaines tentatives de récupérationauxquelles, il faut bien l’avouer, l’intéressé cède parfois en adoptant ce ton moralisateur qui insupporte les marmots? Dans leurs tentatives désespérées pour s’assurer, croient-ils, des moments moins tourmentés à la maison, les « grands » se révèlent parfois un peu pathétiques: comment osent-ils, sans rougir, présenter ce miteux personnage en baskets blanches et à la barbe vacillante comme étant le vrai Saint Nicolas? En matière de contrefaçon, vraiment, on peut parfois mieux faire…

Les adultes se méprennent: c’est dans l’intimité des chambrettes, bien plus que sous les feux des projecteurs, que les enfants établissent le contact avec leur saint patron. Ils en noircissent des pages, de désirs et de pardons, en sachant que ce confesseur muet et magnanime ne trahira jamais, au grand jamais, leurs confidences. Au fond d’eux-mêmes, quoi qu’on leur dise, les mômes qui ont à leur actif quelques petites années d’expérience restent confiants: même s’ils sont infects les jours qui précèdent sa visite – et ils sont nombreux à l’être, en pareille période, comme pour tester leur théorie – Saint Nicolas survolera quand même leur maison, y lâchant l’un ou l’autre des cadeaux commandés. Y a-t-il plus magnifique donateur que celui-là, qui s’enfuit après avoir déposé un peu de bonheur, sans attendre en retour ni amendement ni merci?

Ils savent aussi que tout cela a un prix: là-haut, dans le ciel, le vieillard débordé offre parfois une image contrastant avec sa supposée dignité. Comme emporté par l’élan de ses grands bras agités, ne sachant plus où il est ni qui il est, Saint Nicolas harangue son armée de saisonniers, soumis à un rythme d’enfer: c’est par milliers qu’ils fabriquent, commandent, trient, choisissent et affectent les présents. De mauvaises langues murmurent que leur patron se découvre souvent, durant ces jours particulièrement éprouvants, l’un ou l’autre petit rhume l’empêchant de participer activement à ces épuisants préparatifs. Ce qui ne l’empêche nullement, semble-t-il, de hurler des ordres péremptoires – parfois même contradictoires – et de vitupérer contre la supposée nonchalance d’un personnel multiculturel. Encore faut-il, ensuite, préparer les montures promues au voyage et au largage des précieux paquets. On bichonne donc l’âne ou le cheval, selon les contrées visitées. De braves bêtes, résistantes à la tâche. Parfois un peu excédées par les exigences de leur maître, il leur arrive de se venger, au-dessus d’une cheminée, en faisant mine d’y précipiter leur illustre propriétaire en costume d’apparat. Mais le sens de la pirouette de Saint Nicolas, son génie de l’intuition et, au fond, sa grande bonté lui évitent de devoir trop souvent mettre à l’épreuve son aptitude à la chute.

Un illustre ancêtre

Contrairement à ce que l’on croit parfois, les rennes n’ont pas la cote au royaume magique du grand saint: ceux-là sont affectés au Père Noël, un drôle de bonhomme, lui aussi, offrant de fortes ressemblances avec le patron des écoliers. Un air de famille, en somme: les arbres généalogiques des deux compères n’ont-ils pas, disent certains experts, quelques branches en commun? En tout cas, au rayon des ancêtres, Saint Nicolas est plutôt bien fourni, comme la plupart des illustres personnages. L’un de ses aïeux ne serait autre que le dieu Odin qui, voici quelque deux mille ans, exerçait ses activités dans les pays du nord de l’Europe, l’actuelle Scandinavie. Ce divin ancêtre officiait déjà, si l’on peut dire, dans le même rayon d’activités: majestueusement assis sur son trône céleste, entouré de ses deux loups apprivoisés, il envoyait régulièrement sur terre deux corbeaux, chargés de lui montrer du bec les enfants sages. Au solstice d’hiver, Odin descendait sur terre sur son cheval à huit pattes, pour leur offrir des cadeaux. Pour signer un destin, on a vu de plus mauvais esprits que celui-là…

Isabelle Philippon

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