Un avocat nommé Sarkozy

Au fil des pages de Dans la tourmente (Plon), Eric Woerth raconte à Renaud Revel, rédacteur en chef à L’Express, comment le président l’a défendu tout au long de l’affaire Bettencourt.

EXTRAITS

COMMENT NICOLAS SARKOZY A-T-IL VÉCU LA POLÉMIQUE ?

Renaud Revel : A quel moment Nicolas Sarkozy s’inquiète-t-il de la tournure des événements ?

Eric Woerth : Très vite. De mémoire, le lendemain même de la publication par Mediapart de son premier article, qui est d’une extrême violence. [à] Et ce qu’il me dit va me toucher profondément. Je me souviens, c’était un vendredi soir. Je roulais en voiture en direction de Chantilly. Mon portable sonne et j’ai au bout du fil un homme dont le ton se veut d’emblée très amical. Je sens bien à l’entendre que Nicolas Sarkozy a compris ma stupeur, qu’il devine ma tristesse. Et les quelques mots qu’il prononce alors sont empreints d’une profonde gentillesse, d’une réelle empathie : n’ayant aucun doute sur ma sincérité et mon intégrité, il ne prononce pas un mot sur le fond du dossier, ne me pose pas la moindre question sur l’affaire proprement dite. Je sais qu’il m’a conservé durant tous ces mois sa confiance, d’autant plus que je ne l’ai pas entendu une seule fois – je dis bien pas une seule fois – douter de ma parole et de ma version de cette histoire. Si bien que, ce soir-là, au téléphone, tout son propos est de me rassurer. Je l’entends encore :  » Tiens bon « ,  » J’ai déjà vécu cela « ,  » Je sais ce que c’est « ,  » Il faut que tu sortes, ne t’enferme pas dans un bunker « ,  » Tu fais face « ,  » Tu as mon soutien, mon amitié  » [à]. Oui, à cet instant-là, Nicolas Sarkozy fut mon point d’ancrage. [à] Quand il me parle, à cette époque, c’est l’avocat, son ancien métier, et non plus le chef de l’Etat que j’ai face à moi :  » Aborde ton problème par ce biais-ci « ,  » Evite cet écueil « ,  » Trouve les bons mots « ,  » Ne baisse pas la garde « ,  » Réagis professionnellement, ne personnalise pas trop, c’est trop dur « à

ÉRIC WOERTH DOIT-IL ÊTRE RECONDUIT AU GOUVERNEMENT LORS DU REMANIEMENT ?

E. W. : Nous en avons beaucoup parlé, Nicolas Sarkozy et moi. Nous nous sommes vus en tête à tête à deux reprises dans les quinze jours qui ont précédé la composition du nouveau gouvernement. Tout son propos a été de me dire qu’il avait été normal et légitime que je mène la réforme des retraites jusqu’au bout et avec son entier soutien. Mais que, à l’heure où il refondait profondément l’équipe de François Fillon, il fallait se poser la question de mon maintien, sachant que je continuerais à être exposé à un feu nourri.  » Tu vas avoir face à toi, me disait-il, des gens qui veulent ta peau, qui ne vont pas te ménager, qui vont exiger chaque heure ton départ. Dans un tel climat de chasse à l’homme, pourras-tu tenir indéfiniment ? m’interrogeait-il. Et ne risques-tu pas de compliquer la position du gouvernement et du président de la République, qui t’auront soutenu contre vents et marées ?  » [à].

QUE SE SONT-ILS DIT LE 6 JANVIER 2011 ?

E. W. : [à] Il me demande surtout comment je vais. Si je tiens encore debout, heureux à l’évidence, je le sens, de me voir plutôt décontracté et légèrement bronzé : tout le contraire, en tout cas, d’un homme à terre. Mais je mentirais en affirmant que je ne lui parle pas du dossier de l’hippodrome de Compiègne, voulant lui dire à quel point je ne comprends pas pourquoi on me  » cherche  » là-dessus.  » Je ne t’oublie pas « ,  » La route est longue « ,  » On se retrouvera « … C’est réconfortant, amical et sincère. Il prend le temps de l’amitié. Encore une fois, dans ce monde si brutal, c’est une qualité rare. A l’image de ce coup de fil qu’il me passe, le 31 décembre 2010, pour me souhaiter une bonne année, alors que je suis en vacances en famille à Angkor, au Cambodge – ce qu’il n’avait pas fait les trois années précédentes.

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