Un attentisme coupable

Le tabac a fait l’objet d’une série de réglementations et d’interdictions qui ont porté leurs fruits. Il est difficile de comprendre pourquoi l’alcool a été négligé. Ce 11 mars, le Plan d’action national contre l’alcool a été renvoyé au mois de juin. Ou aux calendes grecques ? Les sept ministres compétents ne se sont par exemple pas mis d’accord sur l’interdiction de la publicité pour l’alcool, ni sur le relèvement des accises – en Belgique, le prix moyen des boissons alcoolisées est pourtant significativement inférieur à la moyenne européenne – ni sur l’instauration d’un alcolock (test d’haleine préalable au démarrage de la voiture) pour les automobilistes soûls récidivistes.

Cet attentisme est coupable. Si le tabac tue, il est hypocrite de minimiser les effets mortels de l’alcool. Certes, il est parfois difficile d’y voir clair : les études statistiques et les analyses factorielles qui permettraient d’apprécier finement les répercussions de la consommation d’alcool sur les maladies et les situations sociales ne sont pas nombreuses et guère diffusées. Bien sûr, à la différence du tabac qui ne compte pas de niveau de consommation sans risque, un verre de vin ou de bière peut ne pas être mauvais pour la santé. Mais il est criminel de ne pas insister sur le fait qu’il faut en rester là. Un homme qui boit trois verres d’alcool ou davantage tous les jours (deux pour une femme) s’expose déjà à une forme de dépendance. Près de 1 personne sur 10 aurait une consommation d’alcool problématique. Encore s’agit-il vraisemblablement d’une sous-estimation.

En France, le rapport Kouchner (1998) avait classé l’alcool parmi les drogues dures, telles l’héroïne et la cocaïne. Et pour cause : pour 100 morts imputés à l’alcool, on en recense 1 ou 2 liés à la drogue. D’après la Commission européenne, l’abus d’alcool est à l’origine de quelque 200 000 décès annuels dans l’Union. Entre 15 et 29 ans, il tue 1 jeune homme sur 4 et 1 jeune femme sur 10. Selon des statistiques belges, cette consommation problématique serait en outre responsable de 10 % à 20 % des accidents du travail, de 25 % à 40 % des accidents de la route et de la moitié des accidents mortels. Elle provoque en effet des maladies physiques (cirrhoses, cancers), psychiques (dépressions, démences), des ruptures familiales, des désinsertions sociales : une grande partie des SDF sont alcooliques.

Mais rien n’y fait. L’Eurobaromètre a beau montrer que la grande majorité des Européens réclament des mesures pour protéger les plus jeunes et pour réduire le nombre de morts sur les routes. Notre pays, dont, particulièrement, la Wallonie, reste atteint par la Daerdenmania. Pas de convivialité sans petit blanc. Le fait que le Vieux Continent concentre sur son territoire le plus grand nombre des producteurs de vins, de bières et de spiritueux du monde n’y est sans doute pas étranger. La crise que traverse le secteur aggrave encore la pression mise par le lobby de l’alcool sur les autorités publiques. Bref, les intérêts économiques l’ont emporté, une fois de plus, sur les préoccupations de santé publique. l

Dorothée Klein, Rédactrice en chef

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