Un arrêt de Strasbourg bien encombrant

Flou artistique : le législateur belge a oublié de suivre la Cour européenne des droits de l’homme, qui veut la présence d’un avocat aux côtés d’un suspect dès sa première audition. Certains craignent même des libérations d’inculpés en aveux !

L’arrêt  » Salduz « , rendu le 27 novembre 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme, consacrait en jurisprudence (supranationale et contraire à l’actuelle législation belge) le fait qu’un tribunal viole la Convention du même nom s’il fonde une condamnation sur la base d’aveux concédés par un suspect interrogé sans la présence d’un avocat, au besoin commis d’office. Ce qui vaut dès la première audition, souvent effectuée à brûle-pourpoint par les policiers. A défaut et sauf exceptions impérieuses, pas de procès équitable possible, disait donc Strasbourg.

Si, en apparence, cet énoncé simple peut paraître aller de soi (au prix toutefois d’une rupture nette avec les pratiques ancestrales), il suscite en pratique nombre de problèmes. Certes, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck avait demandé en mars 2009 un avis sur le sujet au Conseil supérieur de la justice. Lequel ne s’était, pour faire très bref, pas montré hostile à Strasbourg, se demandant même si l’avocat ne devrait pas intervenir avant la première audition pour préparer celle-ci, voire lors de chaque interrogatoire ou confrontation de personnes détenues.

Trois propositions de loi sur le sujet tombaient ensuite, mais sans effet concret, laissant un paysage chaotique. Ainsi, au mois de mars 2010, un mineur d’âge anversois avait été remis en liberté sur la base d’aveux servis hors la présence d’un défenseur. La justice en avait alors appelé au même législateur qui venait de battre trois fois des cils sans se réveiller. Le procureur général d’Anvers, Yves Liégeois, avait aussi dit espérer que, en attendant qu’on légifère, les premières auditions soient filmées afin que les avocats puissent prendre connaissance des conditions de leur réalisation. Le syndicat policier Sypol.be intervenait à son tour, sans rejeter le principe mais en signalant que locaux adaptés, caméras et formation spécifique des policiers n’existaient pour ainsi dire pas.

Le Collège des procureurs généraux entrait dans la danse début mai, en introduisant par circulaire des directives provisoires relatives à l’enregistrement des premières auditions, pour les seuls suspects impliqués dans des crimes non correctionnalisables (censés aller aux assises). Quant à la Cour de cassation, elle ne semble pas prompte à emboîter le pas de Strasbourg.

Parlement somnolent

On est donc dans le flou. L’émoi des professionnels du droit croît. D’abord, parce que, sans balisage, le jeu procédurier pourrait s’amplifier encore. Ensuite, parce que si certains estiment que les aveux actuellement recueillis sans avocat devront  » simplement  » être écartés des débats judiciaires futurs, d’autres, plus pessimistes, craignent le risque de libérations de suspects en détention préventive, si toute poursuite à leur encontre était de ce fait dite irrecevable – avec le danger qu’on peut craindre pour la société.

Mais même l’avènement éventuel d’une législation suscitera des soucis. En vrac : la présence des avocats pourrait diminuer la portée réelle du secret de l’instruction ; un tour de garde – nuits et Nouvel An compris… – leur sera imposé ; l’aridité budgétaire devra accoucher d’un financement spécifique, malgré son état ; que prévoir pour un témoin, interrogé en tant que tel sans avocat, qui serait inculpé par la suite (la Cour européenne n’exige l’avocat que pour les suspects) ? Mais ce ne sont là qu’exemples, car d’autres difficultés seront à prendre en compte au Parlement. Quand il se réveillera…

ROLAND PLANCHAR

l’avènement éventuel d’une législation suscitera des soucis

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