Souad Massi, entre ombres et lumière. © PHILIPPE CORNET

Un amour de Souad

Le Vif

La Franco-Algérienne Souad Massi transcende ses craintes face à une planète malade avec Sequana, disque hypnotique et solaire, mix d’enchanteurs parfums arabes, touaregs et bossa.

Le dixième album de Souad Massi est une réussite. Qui envoûte par sa collection de mélopées sablonneuses. On s’y enfonce avec ce plaisant sentiment de marcher sur une plage, le sel marin sur les lèvres, bercé dans la plupart des onze titres, par cette langue arabe algérienne irrémédiablement poétique. Y compris dans l’étonnante reprise arabisante du Hurt de Johnny Cash, rappel de l’amour de l’artiste pour le folk matriciel. Lorsqu’elle choisit le français (Une seule étoile, L’Espoir), on pense à la fébrilité charnelle des meilleures ballades de Michel Berger.

Mon amour pour la musique était tellement puissant que je ne sentais pas le danger.

Joliment produit par l’Anglais Justin Adams, entre autres collaborateur de Robert Plant, Sequana est d’autant plus plaisant qu’il est ondulant, voyageur, organique, et d’autant plus juste qu’il a été en large partie pensé et composé pendant le premier confinement: «J’étais à Paris, avec mon mari et mes deux adolescentes de 12 et 17 ans. Comme tout le monde, j’ai vécu cette période d’enfermement stressante et inquiétante. J’ai fini par ne plus regarder les informations: mais ne pas tirer de leçons de cet épisode serait ne rien comprendre à la vie. On s’est sentis terriblement fragiles, dans une société qui perd de plus en plus son humanité. Sequana est aussi une forme de réponse à tout cela, notamment dans Une seule étoile. L’idée d’aller à l’ essentiel.»

Nostalgie douce

Lorsque Souad Massi débarque en France en 1999 pour deux concerts, elle n’avait pas l’intention de s’y établir. Cela faisait six mois qu’elle avait décroché son diplôme d’ingénieure en bâtiment et qu’elle travaillait en Kabylie, tout en jouant à Alger ou ailleurs son folk dans des théâtres réceptifs, dans un contexte de guerre civile. Mais «se produire sur scène était très difficile, dangereux, raconte-t-elle. Les musiciens de mon groupe prenaient toujours soin de me raccompagner à l’arrêt de bus. Les extrémistes commençaient à tuer. D’abord les femmes, les intellectuels, les journalistes, les musiciens et puis un peu tout le monde. En quittant finalement l’Algérie, j’ai eu malgré tout l’impression d’abandonner mon pays (silence). Aujourd’hui, j’ai beaucoup de nostalgie, mais elle est douce…»

Sequana, distribué par Stilletto Productions. En concert le 14 décembre au W: Halll, à Woluwe-Saint-Pierre.
Sequana, distribué par Stilletto Productions. En concert le 14 décembre au W: Halll, à Woluwe-Saint-Pierre. © National

C’est aussi le verdict à l’écoute de Sequana: ses inquiétudes pour la planète en perdition et envers les lobbys – «qui ne veulent pas que l’on soit des gens éclairés, qui veulent contrôler la nourriture comme l’eau et nos paroles» – s’alignent sur des sensations de spleen. Que l’on qualifierait volontiers de magistrales, notamment dans l’influence des sonorités touaregs épiçant un titre tel que Mirage. Beaucoup moins dans la chanson Twam, surprenante par son allure hard rock, souvenir d’une Souad Massi entreprenante, ayant fait partie d’un groupe amoureux des gros décibels. «On faisait des reprises de classiques hard anglo-saxons. C’était très mal vu… On répétait dans un garage à Alger et en en sortant, on croisait des individus qui nous regardaient d’une drôle de façon. C’était très chaud et ma mère ne savait pas si on se reverrait le soir… Je ne sais pas si c’était de l’inconscience, mais mon amour pour la musique était tellement puissant que je ne sentais pas le danger.» La musique jusqu’au bout, d’où Victor, qui clôt l’album. Hommage rendu à Victor Jara, chanteur et compositeur chilien emblématique, révolutionnaire, arrêté et torturé par les sbires de Pinochet qui, avant de l’assassiner, lui broyèrent les mains.

Déesse gauloise

D’un régime dictatorial latino-américain à l’actuel gouvernement autocratique d’Abdelmadjid Tebboune s’installe le même mépris des peuples. «C’est un peu triste de voir l’état actuel de l’ Algérie, un pays toujours dirigé par l’armée, qui y place les dirigeants. Un pays qui, malgré des richesses multiples – pétrole, gaz, or, coltan, fer, cobalt, ne fournit guère d’espoir à une population composée à 70% de moins de 20 ans, ce qui est énorme. Mais je garde espoir. Parce qu’il y a de plus en plus de jeunes formés, qui voyagent et aspirent à autre chose qu’à ce système. Nous sommes une génération désormais connectée.»

Souad Massi ne se produit pas en Algérie, parce qu’ après quelques morceaux où elle exprimait son désamour du pouvoir local, elle n’y est simplement plus invitée. Contraste avec la France qui, en 2017, lui a remis les insignes d’officier des Arts et des Lettres. Parlant d’invitation, la Franco-Algérienne – elle possède les deux nationalités – a eu la bonne idée d’inviter sur son disque Naïssam Jalal, formidable flûtiste syrienne. Des éclairs fougueux, notamment sur Dessine-moi un pays. L’ une des raisons de découvrir les ombres et lumières de Sequana, nom emprunté à une déesse gauloise… de la guérison.

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