Emmanuel Macron à Kiev

Emmanuel Macron en Ukraine: un terrain miné (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Des dirigeants d’Europe centrale et orientale s’agacent de plus en plus de la complaisance présumée de la France, de l’Allemagne et de l’Italie face à la Russie. Faut-il encore négocier avec Vladimir Poutine ? Une visite à Kiev des chefs d’Etat et de gouvernement des trois princiupales puissances européennes pourrait apaiser les tensions.

Entre certains pays d’Europe de l’Ouest et certains pays d’Europe centrale et orientale, plus la guerre en Ukraine dure, plus la tension monte. La chute annoncée de la ville de Severodonetsk, dans la région de Louhansk, la progression lente mais continue de l’armée russe dans le Donbass, le déséquilibre entre l’arsenal russe et celui de l’Ukraine, la difficulté de mise à disposition des soldats de Kiev du matériel occidental vont exacerber un peu plus le débat sur la conduite de la guerre. Faut-il armer à tout crin l’Ukraine et écarter toute négociation, au risque de prolonger le conflit, ou être plus mesuré dans l’espoir d’en réduire la durée et de renouer avec la diplomatie, sous peine d’accorder une prime à l’agresseur russe? La Pologne et les pays Baltes sont les principaux tenants de la première option ; la France, l’ Allemagne et l’Italie défenseurs de la seconde.

A partir du 1er juillet, c’est le Premier ministre de la République tchèque Petr Fiala qui assurera la présidence en exercice du Conseil de l’UE, sans doute avec d’autres intentions.

Dès le 9 mars, la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, fille de déportés en Sibérie du temps de l’Union soviétique et de Staline, avait, dans un poignant discours devant le Parlement européen à Strasbourg, posé les enjeux du débat, vus d’Europe de l’Est. «La Russie s’attend à ce que nous reculions sous peu. Comme Dmitri Medvedev (NDLR: ancien président de Russie) l’a expliqué à Poutine lors d’une récente réunion publique du Conseil de sécurité russe, je cite: “Tôt ou tard, l’Occident se fatiguera de sa propre initiative. Ils viendront nous demander de revenir aux discussions et aux négociations concernant toutes les questions de sécurité stratégique.” Poutine viendra nous mettre à l’épreuve, avait repris Kaja Kallas, et oui, nous devrons lui résister. Cela signifie que nous devons continuer à soutenir ceux qui se battent pour l’indépendance de l’Ukraine tout en laissant le temps aux sanctions et aux mesures d’isolement de la Russie de prendre toute leur ampleur. Cela demandera un effort continu de notre part à tous.»

Trois mois et des milliers de morts plus tard, les grandes puissances européennes s’interrogent sur la pertinence du «tout-militaire » prôné par Varsovie, Tallin, Vilnius, Riga, soutenus par Washington et Londres, et regardent comment ne pas hypothéquer la possibilité d’une solution négociée.

Les Premiers ministres polonais, tchèque et slovène avaient été les premiers à apporter leur soutien au président Volodymyr Zelensky, le 15 mars à Kiev.
Les Premiers ministres polonais, tchèque et slovène avaient été les premiers à apporter leur soutien au président Volodymyr Zelensky, le 15 mars à Kiev. © belga image

Présidence tchèque

Ainsi, le président français Emmanuel Macron a-t-il appelé, dans une interview à la presse régionale française le 4 juin, à «ne pas humilier la Russie pour que le jour où les combats cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiques». Cette attention à l’endroit de Vladimir Poutine a été peu goûtée à Kiev et dans les pays voisins. «Les appels à éviter d’humilier la Russie ne peuvent qu’humilier la France, a commenté le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba. Nous ferions tous mieux de nous concentrer sur la façon de remettre la Russie à sa place.» Pour les dirigeants d’Etats qui ont connu l’occupation russe puis soviétique, cette façon de ménager l’Ours russe est insupportable. D’ autant qu’elle se conjugue à la stricte inefficacité des contacts entretenus avec le maître du Kremlin par Emmanuel Macron et à la frilosité de celui-ci et de son collègue allemand Olaf Scholz à apporter un soutien démonstratif au président des Ukrainiens dans son bureau-bunker de Kiev.

La visite d’Emmanuel Macron, Olaf Schölz et Mario Draghi ce jeudi dans la capitale ukainienne apaisera-t-elle les tensions ? Elle ne lèvera sans doute pas les soupçons de «collusion avec l’ennemi» que nourrissent beaucoup d’Ukrainiens et d’Européens de l’est. Reste à savoir si, une fois déchargé de sa mission de président du Conseil de l’UE, Emmanuel Macron disposera toujours du crédit pour poursuivre des négociations. A partir du 1er juillet, c’est le Premier ministre de la République tchèque qui lui succédera, sans doute avec d’autres intentions. Avec ses homologues polonais et slovène, Petr Fiala a été parmi les premiers chefs d’Etat ou de gouvernement à faire le voyage de Kiev après le déclenchement de la guerre. Il avait ainsi voulu exprimer «le soutien sans équivoque de l’Union européenne à l’Ukraine, à sa liberté et à son indépendance». C’était le 15 mars, une éternité.

Européens pas à l’unisson, mais en harmonie

«Nous sommes façonnés par la mémoire et le passé. Le silence n’efface rien. Il ne supprime pas le secret», rappelle l’écrivaine Agata Tuszyńska dans Adresse. Ce texte est la contribution polonaise à cette belle idée de rassembler une œuvre inédite d’un auteur de chacun des pays de l’Union européenne dans un ouvrage collectif. Le Grand Tour (1) est, selon le propos de celui qui en a dirigé l’édition, l’écrivain Olivier Guez, «la mémoire brûlante du XXe siècle européen». La contributrice pour la Belgique est Lize Spit, l’autrice de Débâcle (Actes sud, 2020). Ce panorama européen permet de se rendre compte de l’impact souvent douloureux que l’Union soviétique a eu sur nombre de sociétés européennes de l’est. Sofi Oksanen, Finlandaise dont une partie de la famille est estonienne, relate le moment de bascule où elle s’est aperçue que l’URSS n’offrait plus le meilleur des mondes. Le Roumain Norman Manea explique que «contrairement à l’Europe de l’Ouest, l’Europe de l’Est a connu, en plus des dernières guerres et de l’Holocauste, le goulag». Et c’est sous la plume du Lituanien Tomas Venclova que l’on a découvert cette belle définition de l’Union européenne: «Depuis mon enfance, comme chacun d’entre nous, je comprenais que nous n’étions pas l’Union soviétique, mais quelque chose d’autre. En réfléchissant sur l’essence de cette différence, j’ai compris peu à peu qu’elle consistait en une diversité particulière qui demeure et ne cesse de renaître, quels que soient les efforts déployés par les pouvoirs transitoires pour l’effacer et l’anéantir. Ce qui fait l’unité de l’Europe, c’est qu’elle est un alliage composite de principes culturels qui ne se ressemblent pas, des principes séparés existant dans des espaces différents, dans des temps différents, dans des langues différentes, mais qui ont un dénominateur commun. Le monde totalitaire est le royaume de l’unisson qui dissimule une cacophonie. Les pays de l’Europe ne sont jamais à l’unisson mais, dans l’ensemble, ils sont en harmonie les uns avec les autres.»

La Première ministre estonienne Kaja Kallas appelant l’Union européenne à rester ferme et unie face à Vladimir Poutine au Parlement de Strasbourg, le 9 mars.
La Première ministre estonienne Kaja Kallas appelant l’Union européenne à rester ferme et unie face à Vladimir Poutine au Parlement de Strasbourg, le 9 mars. © getty images

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