Tueries : les soubresauts de l’enquête

La suspicion récemment jetée sur un ancien truand repose sur bien peu de choses. N’est-ce pas son propre crédit que la cellule d’enquête met en jeu ?

Un quart de siècle après qu’elles se sont achevées, les  » tueries du Brabant  » mobilisent toujours l’opinion publique ainsi que les enquêteurs. Or, si chacun se félicite depuis longtemps de la persévérance de la cellule d’enquête, l’étonnement accompagne depuis plusieurs mois cet enthousiasme ancien. C’est à nouveau le cas avec le très récent exemple de Dominique Salesse.

Une réputation exécrable pesait sur cet ancien truand condamné le 30 juin 1987 à Gand, avec plusieurs complices, à vingt ans de réclusion. Alors membre de la  » bande De Staerke « , trop bien connue dans les années 1980, et en relation plus ou moins suivie avec de sombres personnages des  » années de plomb  » de la Belgique, comme Jean Bultot ou  » Popol  » Van Esbroeck, il fut soupçonné d’être l’un des  » tueurs fous « . Des éléments troublants avaient été mis en avant, comme son expatriation subite quelques heures après la dernière des tueries (8 morts, le 9 novembre 1985 au Delhaize d’Alost). Cependant, l’enquête longuement menée à son sujet par la première cellule d’enquête ( » Delta « ) puis par celle dite  » de Jumet  » avait fini par l’innocenter. Et, par ailleurs libéré, Salesse allait s’employer à mener une vie honnête.

Or voilà que la presse flamande vient de révéler qu’il serait à nouveau dans le collimateur, en raison de sa ressemblance avec le dernier portrait-robot diffusé par la cellule d’enquête (juin 2010). Il avait été réalisé selon des éléments donnés sous hypnose par un témoin de l’époque. Celui-ci avait observé, le soir fatidique, le conducteur d’une VW Golf (l’auto préférée des  » tueurs fous « ) noire arrêtée à une station-service, le long de l’autoroute entre Alost et Bruxelles. Portrait-robot rapidement associé à Salesse, à tort ou à raison. De quoi en refaire un suspect éminent ? Oui, pour certains policiers relayés dans la presse. Même si Salesse dément. Même si le parquet de Charleroi tempère. De fait, la construction paraît bien fragile. La Golf comptait alors parmi les véhicules les plus répandus. Combien d’exemplaires noirs étaient en circulation à cette époque ? Sur l’autoroute ? Et pourquoi les  » tueurs fous  » se seraient-ils naïvement affichés avec une voiture suspecte, à l’exact contraire de leurs habitudes et alors qu’ils se montraient d’ordinaire bien plus prévoyants quant à l’état de leurs véhicules ? D’autant que rien de singulier ne relie par ailleurs cette Golf aux tueries.

La mémoire qui flanche

Bref, que les enquêteurs retiennent l’élément parmi des milliers d’autres, c’est bien normal. Par contre, que celui-ci percole vers l’opinion publique en étant détaché de ceux qui avaient en revanche permis d’innocenter l’intéressé, le tout en version  » trouvaille du siècle « , voilà qui surprend. Or cela semble devenir une tendance. Au mois d’août dernier déjà, on avait été surpris par l’annonce médiatique de fouilles dans un bois de Leeuw-Saint-Pierre. Car un témoin fanfaron, dont la cellule avait oublié qu’il s’était déjà manifesté dans le passé et qu’elle avait déjà procédé à des vérifications, venait de (re)déclarer avoir observé un manège suspect dans ledit bois, pendant les tueries. Alors que, à cette époque, le fameux bois n’en était pas un !

L’impression résiduelle tranche donc avec le sérieux que l’on prêtait aux enquêteurs. Un peu comme s’il s’agissait désormais de faire feu de tout bois, même d’une brindille, pour dorer le blason d’une cellule où l’ambiance a récemment été polaire, dissensions internes à la clé. Ou de justifier à tout prix son existence par la visibilité de devoirs d’enquête, alors que les résultats concrets font, en réalité, toujours défaut à cinq ans de la prescription.

ROLAND PLANCHAR

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