Trop  » subjectif  » pour l’agent Sinak

Entre 1986 et 1989, le futur bourgmestre de Bruxelles a déjeuné plusieurs fois avec un faux diplomate tchèque, vrai espion dépité : Freddy Thielemans (PS) n’était pas une bonne source.

Le Vif/L’Express : Agé de 41 ans, alors chef de cabinet du bourgmestre de Bruxelles, Hervé Brouhon, vous ne vous êtes pas méfié des avances de l’agent Sinak (nom de code), se présentant comme membre de l’ambassade de Tchécoslovaquie ?

Freddy Thielemans : Mais je ne me souviens même pas de lui ! Je me demande encore quel est ce resto italien de la rue du Midi où a eu lieu l’une de nos rencontres. Vous savez, le travail d’un bourgmestre d’une ville comme Bruxelles, siège des institutions européennes et de l’Otan, a une dimension diplomatique. J’avais aussi beaucoup de contacts à l’ambassade de Grande-Bretagne et d’Allemagne, tandis que mon bourgmestre, Hervé Brouhon, entretenait plutôt de bonnes relations avec les Russes. On n’était pas en guerre avec les pays de l’Est, même s’ils avaient un autre régime que le nôtre.

Aucune alarme mentale ne s’est déclenchée lorsque  » Sinak  » vous demandait votre avis sur la situation politique internationale ?

Je peux m’imaginer nos sujets de conversation, car ce sont ceux qu’on avait, à l’époque, avec les ressortissants des pays communistes. Ils ne comprenaient pas qu’on puisse être de gauche sans être communiste. Ils se posaient des questions sur un sujet qui était alors à la mode : l’autogestion. Je n’étais pas léniniste, leur sens de la liberté n’était pas le même que le nôtre, nous devions sans doute discuter de philosophie politique. En outre, la Tchécoslovaquie était le pays le plus proche de l’Occident, elle n’aurait pas dû se trouver de l’autre côté du Rideau de fer.

L’ancien ministre de la Défense sous François Mitterrand, Charles Hernu (PS), a fait des piges pour les Bulgares, les Roumains et les Soviétiques. Ses synthèses politiques sur la situation française étaient rémunérées… Ce n’était pas votre cas ?

Non. J’aurais peut-être dû. Cela aurait mis du beurre dans les épinards [ sourire].

De toute façon, vos infos, semble-t-il, ne valaient pas tripette.  » Sinak  » vous jugeait très subjectif mais il s’est trompé en jugeant vos ambitions politiques exagérées… Vous êtes devenu échevin, puis bourgmestre de Bruxelles en 2000.

Cela m’amuse beaucoup, ce regard du passé.

Aucun service de renseignement ne vous a mis en garde, comme la Sûreté de l’Etat l’a fait pour certains Belges qui flirtaient avec la ligne rouge ?

Jamais. Si j’ai bien un réflexe, c’est celui de la liberté et, de plus, je suis belgicain. L’idée de trahir mon pays ne me viendrait jamais à l’idée. Pour vous donner un exemple, j’ai reçu à l’hôtel de ville de Bruxelles le vice-président de la République de Chine [NDLR : Taïwan], devant lequel j’ai prononcé un petit discours en mandarin. J’ai la mémoire phonétique des langues, ce n’est pas difficile pour moi. Après, il a réservé toute la brasserie Ommegang pour m’inviter à prendre le café en tête à tête. La conversation n’a pas été fort loin, et pour cause. Je ne parle pas le chinois.

Dans l’exercice de vos fonctions, vous êtes-vous déjà senti approché de façon insistante ? Les services marocains, par exemple, sont réputés assez curieux ?

Personnellement, non. Mais il y a suffisamment d’autres élus qui peuvent l’être. En revanche, je ne suis pas sûr que, quand je rencontre un ambassadeur des Etats-Unis, la personne qui l’accompagne et qui prend des notes ne soit pas un agent de la CIA. Comment le savoir ? Je fais attention à ce que je dis. Je me souviens que lorsque le patron du Marriott, un mormon, est venu inaugurer son hôtel à Bruxelles, il avait un gros document sur moi, avec tous les détails de ma biographie.

ENTRETIEN : M.-C.R.

 » Cela m’amuse beaucoup, ce regard du passé « 

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