Trafic d’armes via les aéroports belges ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les autorités n’exercent aucun contrôle sur la cargaison d’avions en arrêt technique sur un aéroport belge. Une zone d’ombre dénoncée par certains élus, qui prônent des règles plus strictes.

Considérée au milieu des années 1990 comme une plaque tournante du trafic d’armes, la Belgique redevient-elle une véritable  » passoire  » ? Une affaire, révélée fin février, semble montrer que ce risque persiste. Elle concerne deux ressortissants iraniens suspectés d’avoir organisé, via le territoire belge, un trafic de matériel aéronautique vers l’Iran. Les deux individus auraient vendu pour des dizaines de millions de matériel – instruments de haute technologie pour radars, appareils de visée nocturne… – à des firmes iraniennes qui équipent l’armée de Téhéran et sont donc placées sous embargo par les Etats-Unis.

Le parquet de Bruxelles a entamé des poursuites à leur encontre. L’enquête a révélé que les trafiquants tentaient de blanchir l’argent de leur trafic juteux via des comptes de la KBC. Le journal De Tijd, qui cite des sources bien informées, indique que les services de sécurité belges ignoraient tout du trafic. La Belgique a été mise au parfum par les services de renseignement américains. C’est ainsi qu’un dernier envoi a été intercepté de justesse dans la zone de fret de l’aéroport de Zaventem. Le faible niveau de surveillance dans les zones de fret belges encouragerait, selon des parlementaires et des ONG, les trafics d’armes, de diamants, de drogueà

 » Lorsqu’un avion se pose sur le sol belge pour un ravitaillement, un changement d’équipage ou toute autre raison technique, nos autorités n’effectuent aucun contrôle de la cargaison, déplore Richard Miller, député wallon et sénateur de Communauté MR. Certes, l’exportation et l’importation d’armes, mais aussi leur transit exigent la délivrance d’une licence par l’autorité compétente, en l’occurrence les Régions. Toutefois, des avions qui effectuent un arrêt technique sans transbordement de cargaison ne sont pas considérés comme étant en transit. « 

Pas de contrôle

Dans ce cas, nul besoin d’introduire une demande de licence.  » En Belgique, n’importe quel avion peut donc, sans contrôle, transporter de l’armement ou du matériel militaire, atterrir et redécoller, poursuit Miller. Cette réglementation paraît correspondre davantage au mode d’emploi d’une passoire qu’à une mesure assurant sérieusement la sécurité et la surveillance du fret. Circonstance aggravante : il est permis, toujours sans contrôle, de ré-arrimer la cargaison. « 

Etienne Schouppe (CD&V), secrétaire d’Etat à la Mobilité, ne dément pas. Il confirme aussi que tout cela est rendu possible parce que  » le matériel militaire et les armes ne sont pas considérés comme des matières dangereuses. Leur transport par air ne nécessite pas une autorisation.  » Pour le reste, Schouppe se fait un plaisir d’orienter les doléances vers son collègue Didier Reynders, ministre de tutelle des services douaniers.  » Avant 1999, rappelle-t-il, l’inspection aéronautique veillait au respect de la législation belge portant sur le trafic aérien.  » Mais la réforme des polices a  » limité les compétences de l’inspection aéronautique aux infractions à la sûreté et à la sécurité « . L’inspection ne contrôle donc plus le fret et ne dispose pas des moyens techniques – systèmes de tracement… – de surveillance. La Douane, elle, a ces moyens.

Une réglementation plus stricte ?

Indigné par le flou qui entoure la notion de transit, Miller a déposé, avec le SP.A Bert Anciaux, une proposition de résolution sur la  » sécurité des aéroports belges « , prise en considération en séance plénière du Sénat. Il réclame l’organisation rapide d’un débat avec le gouvernement fédéral et des auditions en vue d’un renforcement de la réglementation appliquée en zone de fret.

 » Tout ce qui va dans le sens d’un meilleur contrôle des mouvements d’armes est positif « , commente Philippe Hensmans, directeur de la section francophone d’Amnesty International Belgique. L’ONG avait souligné, à l’occasion de la semaine d’action sur les armes légères de mai 2008, les difficultés rencontrées par les douaniers pour contrôler les conteneurs transitant par la Belgique, notamment par l’aéroport de Liège-Bierset. Début 2009, en pleine offensive militaire israélienne sur Gaza, deux autres associations, Vredesactie et MIR-IRG, estimaient que Bierset était une plaque tournante du transit d’armes vers Israël et en provenance de l’Etat hébreu.

Dans un rapport de décembre 2009, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip) signale que 80 % des cargaisons illicites d’armes légères et de petit calibre (ALPC) sont livrées par voie aérienne.  » L’utilisation de points d’escale en Grande-Bretagne, en France, aux Pays-Bas et en Belgique par des compagnies aériennes impliquées dans des transferts illicites d’ALPC pose la question de l’existence et de l’efficacité des contrôles du transport aérien de ces armes en Europe « , précise ce rapport.

Pour Georges Berghezan, chercheur au Grip,  » les affaires belges récentes se révèlent souvent être des cas litigieux. Il y a un transit de matériel technologique et électronique pour lequel on suspecte un double usage, civil ou militaire. La Belgique n’est pas pour autant redevenue, me semble-t-il, la passoire qu’elle était dans les années 1995-1997, époque où le plus célèbre des trafiquants d’armes, Viktor Bout, avait sa base arrière et ses avions sur l’aéroport d’Ostende  » (lire l’encadré).

OLIVIER ROGEAU

Le dossier belge sur Victor Bout a été envoyé à New York

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