Trabelsi et Cie, hôtes encombrants

La Belgique doit-elle extrader Nizar Trabelsi vers les Etats-Unis et, pour les mêmes raisons de sécurité publique, repousserla demande américaine d’accueillir deux détenus tunisiens de Guantanamo ?

Un casse-tête pour le futur ministre de la Justice. Acceptera-t-il la demande de la justice américaine d’extrader vers les Etats-Unis le Tunisien Nizar Trabelsi, arrêté le 13 septembre 2001 et condamné en 2003 pour son projet d’attentat contre la base américaine de Kleine Brogel ? Et sinon, que faire de ce détenu remuant qui, de prison en prison (il est actuellement en haute sécurité à Bruges), est soumis à un régime strict en raison de ses incartades ?

Normalement, il doit recouvrer la liberté en 2012. Condamné à vingt ans de prison en Tunisie – pays où se pratique la torture -, il sera alors considéré comme  » inéloignable « . Selon toute vraisemblance, il vivra d’abord d’aides publiques, se mariera en Belgique, aura des enfants et demandera tôt ou tard le statut de réfugié politique. Le Centre de crise (SPF Intérieur) évaluera régulièrement sa dangerosité. Des conditions lui seront sans doute imposées, comme ce fut le cas pour l’ancien député du Front islamique du salut, Ahmed Zaoui, condamné à mort en Algérie, puis à quatre ans de prison pour trafic d’armes en Belgique (1995). Assigné rue Masui, à Bruxelles, il se volatilisa un beau jour, avec toute sa famille, au grand soulagement des autorités belges. Dans les années 1990, des militants du FIS, du GIA (Groupe islamique armé) et d’autres obédiences islamo-nationalistes, auréolés de leur statut d’idéologue ou de combattant, avaient notoirement diffusé une idéologie radicale en Belgique.

Du statut de terroriste à celui de victime

Avec son allure de bad boy bodybuildé, Nizar Trabelsi exerce, lui aussi, une certaine fascination sur ses codétenus et à l’extérieur de la prison. En son temps, un aumônier proche de l’Exécutif des musulmans de Belgique lui avait transmis de l’argent. Ancien candidat sur la petite liste bruxelloise d’extrême gauche Egalité et professeur de néerlandais dans les prisons , Luk Vervaet – aujourd’hui en délicatesse avec l’administration pénitentiaire – voit en lui une victime et milite contre son extradition.

Le Tunisien a beau proclamer qu’il a tourné la page, l’interview qu’il a donnée récemment à la RTBF et à la VRT, via le téléphone de son avocat, Me Marc Nève, ne plaide pas en sa faveur. Contre son propre intérêt, il a agité la menace de réactions musulmanes si la Belgique votait la loi anti-burqa. Néanmoins, son extradition paraît moins certaine que jamais, même si la justice avait déjà donné son feu vert. Ne manquait plus que la signature de Stefaan De Clerck, qui y était tout disposé, le parquet fédéral l’ayant assuré que Trabelsi ne risquait pas la peine de mort aux Etats-Unis. En réalité, les choses ne sont pas si claires. L’homme pourrait encourir la perpétuité pour avoir mis en danger la vie de ressortissants américains. En affaires courantes, De Clerck a légué le dossier à son successeur.

Le retour éventuel de deux détenus de Guantanamo, les Tunisiens Adel Hkimi et Hicham Sliti, tous deux âgés de 44 ans, donne également des sueurs froides aux autorités belges (lire aussi en page 14). Barack Obama veut que ses alliés l’aident à vider le camp de Guantanamo des prisonniers qui ne sont pas en instance de procès. Les deux hommes devraient assez logiquement être renvoyés dans leur pays d’origine, la Tunisie, mais les Etats-Unis s’y refusent, en raison des mauvais traitements qu’ils pourraient y subir.

Ils tentent de les extrader vers la Belgique, où ils ont été condamnés par défaut en 2003. Hicham Sliti, à quatre ans de prison, parce qu’il  » a gagné les camps d’entraînement afghans depuis la Belgique en usant de faux documents « . Adel Hkimi, à cinq ans,  » pour avoir mis sur pied au Pakistan une filière destinée à prendre en charge des exilés (belges, notamment) pour leur faire passer la frontière afghane et les diriger vers les camps d’entraînement « . S’ils reviennent dans notre pays, les Tunisiens seront en état d’arrestation immédiate. Un nouveau procès devrait normalement les rejuger, car ils ont fait opposition.

Malgré les demandes pressantes de leurs avocats,Mes Christophe Marchand et Sven Mary, le ministre de la Justice n’a pas demandé leur extradition, le signe d’un profond embarras. Dans un premier temps, le parquet fédéral n’avait pas réclamé leur retour non plus, pour introduire quand même plus tard une demande d’extradition (pour la forme ?). Sans être suivi par le politique. Et pour cause. Le Vif/L’Express a appris qu’en août 2009 un rapport plutôt à charge avait été présenté à l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam), mettant en garde contre un retour des intéressés en Belgique.

Alors qu’il était dans les camps afghans, et après avoir combattu en Bosnie, Adel Hkimi a failli devenir l’émir du Groupe tunisien combattant. Il y a épousé la fille d’Amor Sliti, cousin de Hicham, alors qu’elle n’avait que 13 ans. Hicham Sliti a voulu revenir en Belgique sous une fausse identité, mais il a été démasqué en 1999 dans un consulat belge du Pakistan, en possession d’une liste de djihadistes européens, ce qui a donné à penser, grâce à d’autres recoupements, qu’il préparait un attentat en Europe. Evadé, il a finalement été repris lors de l’avancée américaine en Afghanistan, après le 11-Septembre.

Dangerosité potentielle

Interrogé par Le Vif/L’Express, Me Marchand affirme ne pas être au courant de la position de l’Ocam. En revanche, il cite un rapport déclassifié de la justice américaine (voir ci-contre) qui relate l’interview du responsable d’enquête de la police fédérale belge ayant conduit à la condamnation de Hicham Sliti, en 2003. Ce témoignage aboutit à des conclusions inverses : à savoir que les investigations n’ont pas permis de mettre en évidence des  » actes de terrorisme concernant ISN 174  » [NDLR : nom de code de Sliti] à Jalalabad (Afghanistan) ou en Belgique.

Qui croire ? Le policier fédéral entendu par les Américains affirme que Sliti n’a pas commis d’actes de terrorisme – ce que sa condamnation ne dit pas non plus. Mais le rapport remis à l’Ocam – des informations  » douces « , c’est-à-dire du renseignement – évoque un  » profil « , une dangerosité potentielle. De fait, certains ex-détenus de Guantanamo ont replongé dans le radicalisme. D’autres, non. Un ancien camarade de Nizar Trabelsi, l’Algérien Djamel Beghal, a été condamné en France à dix ans de prison pour un projet d’attentat contre l’ambassade américaine à Paris. Il était assigné à résidence depuis sa sortie de prison, mais il a été arrêté à nouveau le 18 mai. Avec 13 autres personnes, il est soupçonné d’avoir préparé l’évasion de l’un des artificiers des attentats, attribués au GIA algérien, qui ont frappé Paris en 1995 (10 morts), et sa propre exfiltration de France.

MARIE-CéCILE ROYEN

obama veut que ses alliés l’aident à vider le camp de guantanamo

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