Touaregs Le spectre islamiste ?

Boris Thiolay Journaliste

L’affaire des otages a semé le doute : de nombreux jeunes nomades désouvrés rejoignent-ils Al-Qaeda au Maghreb islamique ? Les spécialistes sont sceptiques.

Le sud du Sahara et la bande sahélienne redeviennent-ils le  » pays de la peur  » décrit par les explorateurs du xixe siècle ? Dans les territoires ancestraux des nomades touaregs, aux frontières de l’Algérie, de la Mauritanie, du Mali et du Niger, terroristes d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), trafiquants de cocaïne et autres bandits en 4 X 4 semblent désormais agir à leur guise. Dans ce grand nulle part, rumeurs et hypothèses se mêlent aux informations vérifiables. Six semaines après l’enlèvement de cinq Français, d’un Togolais et d’un Malgache par Aqmi, les nouvelles parviennent au compte-gouttes.  » Ils sont en vie et en bonne santé « , indiquent plusieurs sources diplomatiques, tout en déplorant l’absence de revendications et de contact  » direct  » avec les ravisseurs.

En attendant, ce kidnapping, opéré le 16 septembre dans le nord du Niger, et la détention présumée des otages dans le massif du Timétrine (nord-est du Mali) – deux régions touarègues – ont jeté la suspicion sur l’ensemble des Kel tamasheq (ceux qui parlent la langue touarègue). Certains affirment que les Touaregs, particulièrement les jeunes, basculent en masse vers Aqmi. Un journal français a annoncé il y a peu que les preneurs d’otages Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, deux émirs algériens d’Aqmi,  » se sont mariés avec des femmes de grandes tribus touarègues  » ; en réalité, ils ont épousé des femmes bérabiches, une communauté arabe du nord du Mali. On évoque aussi l’existence d’une katiba (compagnie) d’Aqmi entièrement composée de Tamasheqà Des affirmations aussi inquiétantes que surprenantes, car les Touaregs, berbérophones, pratiquent un islam peu prosélyte et laissent aux femmes, non voilées, une liberté inégalée dans le monde musulman. Ces hommes se rangeraient-ils à présent derrière quelques centaines de salafistes menant le djihad contre l’Occident et les régimes  » impies  » de la région ?

 » Des mariages et des échanges ponctuels existent, mais Aqmi reste un corps étranger, sans ancrage dans la société touarègue, tempère Pierre Boilley, spécialiste des peuples nomades au CNRS. Les Tamasheq n’adhèrent pas à leur radicalisme religieux et politique.  » Certes, des jeunes dés£uvrés jouent les têtes brûlées pour ravitailler les djihadistes et les trafiquants : un fût de 200 litres d’essence, acheté l’équivalent de 150 euros dans le Sud algérien, se revend 60 euros de plus dans les repaires d’Aqmi au Mali. De là à se livrer au djihadà  » Pour ramener ces jeunes à la raison, nous organisons des rencontres de sensibilisation avec les chefs de tribus et les autorités locales « , explique Ibrahim Ag Mohamed Assaleh, député de Bourem et vice-président du Réseau pour la paix, la sécurité et le développement dans le nord du Mali. Cette association fédère les communautés de la région – Touaregs, Peuls, Songhaïs, Arabes.  » Nous sommes les premières victimes d’Aqmi, poursuit-il. Les terroristes se sont engouffrés dans le vide laissé par le gouvernement et l’insécurité empêche tout développement économique. Désigner les Touaregs comme leurs complices sert surtout à discréditer toutes nos revendications pour une meilleure gestion de nos territoires.  » La méfiance des autorités de Bamako envers les Touaregs, plusieurs fois entrés en rébellion armée (1962, 1990, 2006), reste vive. A présent, des ex-rebelles réclament la création d’unités militaires associant combattants tamasheq et soldats maliens pour chasser les djihadistes du pays. Tandis qu’en coulisses plusieurs médiateurs touaregs maliens et nigériens auraient approché des émissaires d’AQMI pour négocier la libération des otages.

BORIS THIOLAY

« Aqmi reste un corps étranger sans ancrage dans la société touarègue »

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