Tempête à Hollywood

La crise n’a pas épargné le cinéma américain. Les stars sont à la peine et les films indépendants galèrent. Enquête sur une industrie fortement secouée.

De notre correspondant à Los Angeles

Le 9 juillet dernier, le studio Paramount, fort du triomphe commercial de Star Trek et de Transformers 2 : la revanche, annonçait, pour le second trimestre 2009, des recettes au box-office américain supérieures à 1 milliard de dollars. Impressionnant. Le 28 juillet, le quotidien professionnel Variety se penchait sur les résultats de Viacom, la maison mère de Paramount, et le résultat, pour la même période, était moins brillant : une chute des bénéfices de 32 % et une perte de 25 millions de dollars pour le seul studio. Des chiffres qui illustrent le paradoxe de la situation du cinéma aux Etats-Unis : la crise n’épargne pas Hollywood, mais, parce que le 7e art fait toujours rêver des millions de spectateurs, les studios survivent. Pour les producteurs indépendants, par définition situés en dehors du système des majors, c’est une autre histoire.

En dépit des prédictions catastrophiques faites en 2008, au plus fort de la tourmente, le public a continué de se rendre dans les salles. C’est la grande leçon de la crise. La fréquentation reste importante et, de Wolverine à Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, les blockbusters rapportent toujours gros. Comme lors de la dépression des années 1930, le spectateur de 2009 a besoin d’aller au cinéma pour échapper à un monde hostile. Et pour se changer les idées. D’où le succès des films de divertissement.

Il n’en reste pas moins que la crise a gravement touché Hollywood. Depuis longtemps déjà, les coûts exponentiels des superproductions (240 millions pour Avatar, le nouveau film de James Cameron) réduisent la marge des bénéfices des studios. Mais, avec la récession actuelle, la situation s’est aggravée. Les compagnies propriétaires des studios, Sony, Viacom ou Time Warner, sont toutes en difficulté. Et doivent faire face à un changement dans les habitudes des spectateurs. Ainsi, les recettes du marché du DVD, source de revenus n° 1 pour Hollywood, ont chuté de 18 % ces derniers six mois. Et quand les DVD ne se vendent plus, les bides du box-office et les budgets extravagants deviennent beaucoup plus difficiles à amortir.

Des exemples ? Le Monde (presque) perdu, avec Will Ferrell (100 millions de dollars de budget), et The Soloist, avec Jamie Foxx, sont des échecs patents ; Watchmen et Public Enemies ont un ratio coût/recettes largement négatif ; les DVD du dernier James Bond, Quantum of Solace, de Slumdog Millionaire ou d’Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal se sont mal vendus.

Un star-système transformé

Autre phénomène lié à la crise, et qui trouble Hollywood : le cinéma dit  » adulte  » et le star-système ne fonctionnent plus. Un film comme Jeux de pouvoir, avec Russell Crowe et Ben Affleck, s’est ramassé, et de nombreuses grandes stars ont essuyé des échecs cuisants – Julia Roberts, John Travolta, Jack Blackà  » Nous assistons à une transformation du star-système « , souligne Marc Shmuger, président d’Universal, qui résume l’évolution du comportement du spectateur préférant bien souvent le film lui-même à la tête d’affiche. Sur un plan purement économique, plusieurs éléments ajoutent une ombre au tableau : les financiers extérieurs n’ont plus d’argent pour aider les studios ; les tournages fuient Los Angeles et la Californie pour profiter des exonérations fiscales offertes par d’autres Etats – la Louisiane et le Michigan, notamment – entraînant des pertes d’emplois à Los Angeles. La faiblesse du dollar face aux monnaies étrangères enfonce le clou : le dernier volet d’Harry Potter, tourné à Londres, a coûté 15 millions de dollars de plus que s’il avait été réalisé aux Etats-Unis, et quand les recettes des marchés étrangers (65 % des revenus totaux du box-office) sont reconverties en dollars, l’industrie touche bien moins qu’auparavant.

La situation est donc difficile, mais Hollywood tente de s’adapter. Avec fracas. Tous les studios ont mis au chômage des centaines d’employés. Le nombre de films produits s’est réduit et les budgets aussi. Quand les projets ne sont pas carrément annulés : Sony a ainsi décidé qu’il n’était pas raisonnable de dépenser 57 millions pour un film sur le base-ball, Moneyball, malgré la présence de Brad Pitt à l’écran et de Steven Soderbergh à la mise en scène. Face à ce marasme, les studios ont mis au point de nouvelles stratégies marketing : Internet devient indispensable pour communiquer sur les films, permettant ainsi de réduire les coûts énormes de lancement – 155 millions de dollars pour Harry Potter et le Prince de sang-mêlé. Enfin, les stratégies artistiques vont toutes dans le même sens : favoriser les blockbusters et les comédies peu chères comme Very Bad Trip, énorme succès surprise aux Etats-Unis.

La télévision, nouvel eldorado ?

Face à ces majors, secouées mais toujours solides, le cinéma indépendant prend, lui, la crise de plein fouet, car il est entièrement dépendant des financiers extérieurs au système. Pour preuve, le désengagement des acheteurs internationaux qui, auparavant, avançaient l’argent. Résultat : les studios se sont débarrassés des compagnies indépendantes qu’ils ont un temps soutenues. Warner Independent, Picturehouse ou Paramount Vantage ont ainsi mis la clé sous la porte et New Line a été absorbé par Warner Bros. Seuls Fox Searchlight (Slumdog Millionaire) et Lionsgate (la série d’horreur Saw) parviennent à s’en sortir. Selon Dawn Hudson, de Film Independent, un organisme qui aide des cinéastes,  » tous les contrats entre les petits producteurs et les financiers de Wall Street prêts à investir dans le cinéma sont désormais impossibles « . Même les budgets qui vont de 1 à 5 millions de dollars sont très difficiles à boucler.

Autre problème : le cinéma indépendant fait, dans sa majorité, la part belle au cinéma social et aux histoires qui ont à voir avec la réalité, souvent sombre, du pays. Là, c’est simple : le public n’en veut pas. Et, du coup, les distributeurs non plus.  » Ils demandent des comédies ou des films de divertissement peu coûteux, comme Taken, explique Barnaby Thompson, patron d’Ealing Studios. Les drames sont une denrée rare en ce moment.  » Le box-office, seul maître après Dieu, lui donne raison : pour un beau succès comme la comédie 500 Jours ensemble (sur les écrans belges en novembre), combien de petits films n’ont pas dépassé le million de dollars de recettes – chiffre ridicule aux Etats-Unis !  » C’est une nouvelle ère qui s’ouvre, analyse Steven Beer, un agent qui travaille beaucoup au Festival de Sundance. Le public amateur de films indépendants va désormais dans les festivals, loue des DVD ou les cherche sur Internet, mais il ne va plus les voir de manière conventionnelle dans une salle de cinéma. « 

Le cinéma indépendant étant en pleine déroute, les producteurs n’ont pas d’autre choix que de trouver de nouvelles alternatives. De nombreux cinéastes tournent avec les moyens du bord et des budgets minuscules. Certains tentent de trouver de l’argent autrement : ainsi Sybil Temtchine a-t-elle écrit à des businesswomen célèbres pour l’aider à financer Audrey, dont l’héroïne évolue dans le milieu des affaires. Elle a réuni la moitié des 600 000 dollars dont elle a besoin. On peut cependant douter que des initiatives personnelles de ce type sauvent le cinéma indépendant.

Aujourd’hui, Hollywood se pose une seule question mais d’importance, qui en dit long sur les mutations présentes : les salles de cinéma seront-elles désormais réservées aux superproductions, et le petit écran, ou Internet, aux films indépendants au potentiel commercial moindre ? Depuis le succès des Sopranos, la télévision est le nouvel eldorado des cinéastes. Là se trouve peut-être leur survie. Et chacun de constater que si Noces rebelles, avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, n’a pas réussi à trouver son public, une magnifique série comme Mad Men, sur des thèmes similaires, triomphe. Un beau sujet de réflexion pour la rentrée.

denis rossano

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire