Sur les plages du Lavandou

Guy Gilsoul Journaliste

Hommage à Henri Edmond Cross (1856-1910), ce peintre ami de Signac, de Van Rysselberghe et de Matisse, qui, comme ces derniers, découvrit la couleur sur les bords de la Méditerranée.

A la fin du XIXe siècle, Cannes est encore un petit port de pêche, même si, depuis quelques années, les palmiers remplacent peu à peu le maquis. Mais non loin, Nice et ses alentours Villefranche, Saint-Jean-Cap-Ferrat et Menton sont, depuis quelque temps, devenus les lieux de séjour hivernal de la richesse anglaise. Villas palladiennes, châteaux exotiques et hôtels de luxe se multiplient. Toujours plus grands, plus beaux, plus luxueux. On y vient pour la douceur du climat et pour se distraire, se montrer, rivaliser d’audaces épicuriennes. L’argent coule à flots. Le casino de Monte-Carlo, ouvert dès 1862, est un must. Le Regina Excelsior (résidence secondaire de la reine Victoria) à Nice est une splendeur de 200 mètres d’envergure, comprenant 400 chambres et 233 salles de bains. Pourtant, en longeant la côte vers Marseille, la côte garde son caractère premier. C’est là, du côté du Lavandou et de Saint- Tropez, que des peintres venus du nord de la France ou de Belgique, vont, comme Van Gogh quelques années avant eux, chercher la lumière que leur quête de couleurs pures réclame.

Parmi eux, le jeune Signac, l’anarchiste, futur théoricien du néo-impressionnisme, le Belge Théo Van Rysselberghe ou encore un peintre originaire de Douai, Edmond Cross, qui s’y installe dès 1891 afin de soulager ses rhumatismes. Ils deviendront amis, soudés jusqu’à la mort, aventuriers d’une manière de peindre dont Georges Seurat (décédé en 1891) a été l’initiateur. On sait combien Signac diffusera autour de lui les grandes leçons du maître et son influence sur le jeune Henri Matisse. On évoque moins l’influence qu’Edmond Cross aura sur l’inventeur du fauvisme. Or c’est ensemble, en 1904, qu’ils partent sur le motif visant, ici, une vue sur les Calanques, là, un sous-bois aux reflets violets ; ensemble qu’ils réalisent des aquarelles en prenant soin de laisser à la surface blanche du papier le pouvoir d’éclairer l’ensemble des formes colorées. C’est qu’au fil des années chacun des pionniers se détache peu à peu de la rigueur quasi scientifique des compositions de Seurat. La touche se fait plus libre, plus dynamique. Signac hausse l’intensité des couleurs. Cross ajoute au paysage des figures qui ne sont pas sans annoncer les Arcadie de Matisse. Quant à Van Rysselberghe, il préconise un art fait seulement de courbes, de formes géométriques et de teintes sans significations. Chacun prône en réalité une peinture dont le but serait, comme en musique, l’harmonie. Bientôt, Camoin, Marquet, Manguin, autres futurs  » fauves « , arrivent à Saint-Tropez.

Dans l’exposition, pour la première fois, on mesure la qualité de l’£uvre de Cross ainsi que l’évolution de ses rapports à la nature, la couleur et l’art de la composition à travers une petite quarantaine d’aquarelles et 34 peintures. En même temps, par le biais de confrontations judicieuses, on situe mieux sa singularité par rapport au théoricien Signac ainsi que son influence déterminante sur le travail de Matisse. Une fois encore, le musée du Cateau-Cambrésis nous offre, comme lors de la précédente exposition consacrée aux dessins au pinceau de Matisse, une exposition qui présente la double qualité du plaisir esthétique et de la découverte.

Henri Edmond Cross et le néo-impressionnisme, au musée départemental Matisse au Cateau-Cambrésis, France, jusqu’au 10 juin. Palais Fénélon.

www.cg59.fr

GUY GILSOUL

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