Sur la piste des narcos

Ce pays d’Afrique de l’Ouest est l’une des plaques tournantes de l’approvisionnement de l’Europe. Corruption, police sans moyens… les trafiquants ont la tâche facile.

De notre envoyée spéciale

Les cheveux pris en bouclettes à la mode des femmes de son pays, Lucinda Gomes Barbosa est l’une des  » incorruptibles « . La quarantaine athlétique, le sourire énergique, cette femme encore jeune vient d’être nommée à la tête de la police judiciaire de Guinée-Bissau. Elle appartient avec son mari, chef du Bureau national d’Interpol, à la nouvelle équipe mise en place par la ministre de la Justice, Carmelita Barbosa Pires, pour lutter contre les narcotrafiquants colombiens. Les  » narcos « . Venus du Norte del Valle, le nouveau cartel dominant, ils ont débarqué dans le pays, il y a trois ans, et l’ont transformé en plaque tournante de la cocaïne à destination de l’Europe.

Ici, ils sont omniprésents et souvent menaçants, quand les autorités se  » mêlent  » de leurs affaires. La ministre de la Justice en sait quelque chose. Elle ne se déplace plus qu’avec un garde du corps. Elle est visée, comme l’a été naguère l’ancien chef de la PJ, responsable de deux grosses prises de plus de 600 kilos de cocaïne en septembre 2006 et avril 2007, au cours desquelles des Colombiens ont été arrêtés.

 » Notre volonté d’arrêter les narcotrafiquants est sans faille, assure Carmelita Barbosa Pires, mais nous n’avons ni les effectifs, ni les véhicules, ni les moyens financiers qui nous permettraient de nous équiper, ne serait-ce qu’avec de simples menottes, ou bien de payer des informateurs. « 

Avec une force de 63 policiers en civil pour une population de 1,6 million d’habitants, les attributions de la PJ sont aussi vastes que ses moyens dérisoires.  » La brigade antidrogue n’est composée que de huit inspecteurs « , confie l’un d’eux. Elle est renforcée en cas de coup dur. Au commissariat de permanence, les plaintes s’accumulent : drogue, vol, homicides, détournements de fonds et attentats terroristes. L’inspecteur de service écoute, enregistre et rend parfois la justice pour éviter d’encombrer les tribunaux. Deux véhicules poussifs trônent au milieu de la cour dont un démuni de roues.  » A cause de la corruption, dit un enquêteur, la collaboration avec les autres forces de police ou bien l’armée fait cruellement défaut, quand nous ne nous heurtons pas directement à eux. « 

A quelques encablures du ministère de la Justice de Bissau, la façade rose décrépie du QG de la police judiciaire est pourtant devenue le symbole d’une lutte qui ne semble pas près de finir.  » Tout comme le Cap-Vert, la Guinée-Bissau est stratégiquement placée, explique Sandra Valle, une Brésilienne dépêchée par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). De plus, de nombreuses îles de l’archipel des Bissagos sont inhabitées. Ce pays est une entrée idéale pour le débarquement et le stockage de grandes quantités de drogue. « 

Environ 800 kilos de cocaïne arriveraient chaque nuit par bateau ou par avion, avec sur place des hommes qui réceptionnent les cargaisons.  » Il y a beaucoup de « boulangers » africains, latino-américains mais aussi européens à Bissau qui ne font pas que dans la farine, affirme José Lopes, un Portugais en poste à Bissau dans le cadre d’un programme d’aide à l’amélioration des institutions. On peut les repérer par les véhicules luxueux qu’ils conduisent. Ils ne se cachent pas ! « 

Le trafic déstabilise un peu plus un Etat rendu exsangue par trente ans de luttes intestines et de coups d’Etat militaires. Et les responsables locaux se sentent souvent seuls. Joachim Mendes, directeur des prisons et des tribunaux, en appelle à la communauté internationale.  » Les pays européens veulent que nous stoppions les narcotrafiquants, mais il n’y a même pas dans ce pays une prison digne de ce nom pour les y enfermer « , lance-t-il, amer.

Les grilles rouillées du centre de détention Primeira Esquadra ne ferment plus depuis longtemps. Allongés dans l’obscurité sur des matelas de fortune, les prisonniers vont et viennent à leur guise. L’odeur d’urine est insupportable et des moustiquaires maculées abritent les prisonniers des gravats qui tombent du plafond.  » C’est toute la chaîne du processus judiciaire qu’il faut réformer, car les juges, eux aussi, sont constamment menacés, dit un conseiller du ministère de la Justice. Sans cela, les trafiquants ont encore de beaux jours dans notre pays. « 

Christine Holzbauer

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