Succès au bout de la route

Le 1er mai 2004, 10 pays rejoindront l’Union européenne. Le Vif/L’Express est allé dans chacun d’eux à la rencontre de ces nouveaux citoyens de l’Europe. Cette semaine, c’est le portrait d’un industriel polonais qui ouvre cette série Après bien des péripéties, Krzysztof Olszewski a créé, en 1999, sa propre marque d’autobus. Premier sur le marché intérieur, il exporte aujourd’hui plus de la moitié de sa production

Lorsque, au début de l’an dernier, le syndicat des transports urbains de la région de Douai (nord de la France) décide de lancer un appel d’offres pour une demi-douzaine d’autobus, il pose une exigence bien particulière : des toilettes devront être prévues pour le chauffeur. Le seul constructeur à relever le défi est une petite entreprise polonaise.  » C’est comme cela, grâce à cette histoire de toilettes, que nous sommes entrés sur le marché français « , dit en riant Krzysztof Olszewski, patron de la société Solaris. Douai a pris livraison en décembre 2003 de ses véhicules, dûment équipés des sanitaires demandés.

C’est en 1999 qu’est né, dans la banlieue de Poznan, dans l’ouest de la Pologne, le premier autobus produit par Krzysztof Olszewski sous sa propre marque, Solaris. Jusque-là, en effet, il se contentait de fabriquer des véhicules sous licence allemande. Depuis, ce quinquagénaire énergique û il est né en 1951 û s’est adjugé 35 % du marché polonais, sur lequel il occupe désormais la première place. L’an dernier, il a réussi à exporter 60 % de sa production.

Sa passion pour l’automobile est ancienne. En 1978, son diplôme d’ingénieur en poche, ce fils de médecin achète à Varsovie la moitié d’un garage. A l’époque, la Pologne tente de conjuguer le communisme avec la société de consommation. Edward Gierek encourage la production des Fiat 126, sacrées voitures populaires. Le garage marche bien. Krzysztof Olszewski et sa femme, Solange û dentiste de formation û ne se sentent pas vraiment concernés par la révolte, au cours de l’été 1980, des ouvriers des chantiers navals de Gdansk et la naissance du syndicat Solidarité.  » Je n’ai pas réalisé, alors, que l’histoire était en marche « , avoue aujourd’hui le patron de Solaris. C’est un autre événement qui va changer le cours de son existence : l' » état de guerre  » décrété, le 13 décembre 1981, par le général Wojciech Jaruzelski.

Quelques jours plus tôt, le 4 décembre, Krzysztof Olszewski s’était rendu en Allemagne, où il avait prévu de rester jusqu’au 14 pour acheter des pièces de rechange et faire quelques emplettes pour Noël. Lorsqu’il entend le discours de Jaruzelski, il décide de ne pas rentrer en Pologne. Jamais l’avenir de son pays ne lui a paru si incertain û à l’époque, certains prédisaient même une possible invasion par l’armée rouge. Son métier de garagiste lui semble également bien compromis :  » Il y avait des chars dans les rues, personne ne pouvait circuler, l’essence était rationnée, l’activité économique était paralysée.  »

Parlant couramment la langue de Goethe, il servait chaque année, lorsqu’il était étudiant, de guide-interprète lors de la foire internationale de Poznan. Cela lui a permis de se faire quelques contacts. C’est ce carnet d’adresses qu’il va utiliser pour finalement décrocher un emploi à Berlin dans une usine de la société Neoplan, l’un des gros producteurs d’autobus allemands. Il obtient aussi une carte de séjour. Son épouse parvient à le rejoindre en septembre 1982. Mais elle a dû laisser en Pologne, chez leur grand-mère, leurs deux enfants, âgés de 3 et 4 ans. Il faudra l’intervention des autorités allemandes pour que, finalement, le gouvernement polonais les autorise à sortir du pays. Des collègues de Neoplan iront les chercher en avril 1983. La famille est enfin réunie. L’année suivante, l’ingénieur polonais est nommé directeur de l’usine berlinoise du groupe. Un poste qu’il va occuper pendant une dizaine d’années.

1994 : retour au pays

Il est donc à Berlin en 1989, au moment de la chute du Mur. Et, cette fois, il est parfaitement conscient de vivre un moment historique.  » Quand on est, dit-il, dans une société démocratique c’est différent. On est beaucoup mieux informé de ce qui se passe. C’est à l’Ouest que j’ai réalisé que mon pays avait été précurseur.  » En 1990, la Pologne entre dans l’ère du capitalisme. C’est l’époque du  » plan Balcerowicz « , du nom du ministre des Finances du premier gouvernement non communiste. Les réformes sont menées au pas de charge. Très vite, Krzysztof Olszewski est convaincu que ce nouveau marché qui s’ouvre est riche en opportunités. Il profite souvent de ses week-ends pour se rendre en Pologne, à la rencontre d’élus locaux qu’il reçoit aussi à Berlin. Autant de clients potentielsà En 1994, il propose à Neoplan de créer une usine en Pologne. Mais la firme allemande refuse. Il peut, s’il le souhaite, devenir à Varsovie son représentant exclusif, mais à condition de se mettre à son compte. Krzysztof Olszewski décide de relever le défi. Il ouvre un bureau dans la capitale polonaise. Ses compatriotes découvrent grâce à lui les bus à plancher bas, bien plus faciles d’accès que les vieux modèles qu’ils utilisent. Ils sont séduits. Très vite Krzystof Olszewski remporte un appel d’offres pour une cinquantaine d’autobus à Poznan. Mais la municipalité exige que ceux-ci soient assemblés sur place. Il emprunte auprès des banques, qu’il réussit à convaincre, et crée sa première usine dans la banlieue de Poznan. Il y fabrique alors sous licence des autobus Neoplan. Son carnet de commandes ne cesse de se remplir. Il profite pendant quelques années de sa position de précurseur. Puis la concurrence se fait plus rude. Il se rend compte alors que l’obligation dans laquelle il se trouve d’importer les châssis fabriqués en Allemagne par Neoplan l’empêche d’être compétitif.  » En 1998, nous étions les plus chers du marché, cela ne pouvait continuer.  » Seule solution : créer sa propre marque et concevoir ses propres modèles. Il trouve, là encore, des banques qui croient en lui et lui font crédit.

C’est ainsi que naît, en 1999, le premier autobus Solaris. Baptisé Urbano, il est conçu pour résister aux routes souvent mal entretenues des pays d’Europe centrale et orientale. En Pologne,  » où l’on a toujours préféré David à Goliath « , c’est un véritable engouement. Les commandes enregistrées pendant les six premiers mois le propulsent au premier rang, avecà 72 % de part de marché. Les premières exportations arrivent aussi très vite, d’abord vers l’ex-Europe de l’Est, puis à l’Ouest. Depuis, le succès ne s’est jamais démenti.  » Notre atout, dit Krzysztof Olszewski, c’est d’être une entreprise à taille humaine. Nos clients savent que nous sommes attentifs à leurs problèmes. Mon numéro de portable figure sur ma carte, ils peuvent me joindre à tout moment.  » Le 1000e autobus est sorti de l’usine de Poznan en juillet 2002. Il roule aujourd’hui dans les rues de Berlin.

La semaine prochaine : Les Hongrois

Dominique Lagarde, avec Bernard Osser

ôC’est à l’Ouest que j’ai réalisé que mon pays avait été précurseur »

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