Stendhal, l’homme pressé

L’auteur de La Chartreuse de Parme ne tenait pas en place. Dans un essai enlevé, Jean Lacouture le piste à travers l’Europe

Stendhal. Le bonheur vagabond, par Jean Lacouture. Seuil, 245 p.

On le sait depuis le collège : Stendhal dicta l’essentiel de La Chartreuse de Parme en cinquante-trois jours, enfermé dans sa chambre de la rue Caumartin. Une forme d’exploit pour cet homme qui sillonna pendant des années les routes d’Europe, en proie à cette  » fureur de locomotion  » pointée par Prosper Mérimée. Rien de surprenant à ce que cette fringale de voyages ait séduit Jean Lacouture, avec qui nous avions déjà gaillardement chevauché en compagnie de Montaigne.

Cette fois, c’est en calèche qu’on voyage, la plupart du temps û Henri Beyle se révélait un fort piètre cavalier. Protégé par son cousin, le comte Pierre Daru, Stendhal est embarqué dans l’épopée napoléonienne, en particulier dans la campagne de Russie. Il échappera par miracle au désastre de la retraite, passant le fameux pont sur la Berezina la veille de son effondrement. Ce dramatique épisode, qui lui fit voir des choses qu' » un homme de lettres sédentaire ne devinerait pas en mille ans « , aurait pu fournir une prodigieuse matière romanesque. Et pourtant, elle  » restera exclue de l’imaginaire stendhalien « , écrit Lacouture, qui ne peut s’empêcher de donner un coup de chapeau au responsable de la  » direction générale des approvisionnements de réserve  » de la Grande Armée, lequel, après l’épreuve, trouve encore la ressource d’écrire à sa chère s£ur Pauline :  » Ce qui est bien plus beau, c’est que je sois maigre.  » Et qu’importe si Chateaubriand, tout à sa détestation, brocarde les  » embellissements pathétiques  » de celui que Lacouture surnomme tour à tour, malicieusement, Henri le Luron, Henri le Vagabond ou Henri le Gros û il lui arriva de peser jusqu’à 93 kilos pour 1,70 mètre !

Stendhal, cet  » Européen absolu « , selon Nietzsche, saute, dès que l’occasion s’en présente, dans une diligence. Il parcourt l’Angleterre, patrie du bien-aimé Shakespeare (le seul écrivain digne de figurer, aux côtés de Mozart et de Cimarosa, sur sa stèle funéraire), l’Espagne, les Pays-Bas, l’Autriche ou la Hongrie. Mais c’est, bien sûr, sa chère Italie, découverte, à l’âge de 17 ans, lors du passage épique du Grand-Saint-Bernard, qui le comblera de bonheur au point de passer quinze années de sa vie sur ce  » morceau de ciel tombé sur la terre « . Jusqu’à faire la preuve que tous les chemins mènent à Parme.

Thierry Gandillot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire