Spirou, 70 ans, bon pied bon oeil

Depuis le 21 avril 1938, le Journal de Spirou a accompagné les plus grands noms de la BD franco-belge. Quelque 500 personnages sont sortis de ses pages. Dont Spirou, qui ne compte pas raccrocher de sitôt…

Jean Dupuis et ses fils ont du flair. A la fin des années 1930, ils sentent que la bande dessinée commence à prendre solidement place dans le c£ur des jeunes lecteurs. Or ils possèdent une imprimerie et une belle maison d’édition qui publie chaque semaine, avec succès, Moustique-Radio et Les Bonnes Soirées. Aussitôt, ils décident de créer un nouvel hebdomadaire destiné à la jeunesse. Un de leurs amis, l’écrivain Emile-André Robert, leur souffle le nom du journal : Spirou, ce qui, en wallon, signifie à la fois un écureuil et un garçon vif et espiègle.

Dans la foulée, ils chargent le dessinateur français Robert Velter, dit Rob-Vel, de donner vie à ce petit personnage, appelé à devenir l’emblème du journal. Ancien steward sur des paquebots transatlantiques, Rob-Vel habille le nouveau héros d’une livrée et d’un calot rouges. Ainsi accoutré, le jeune homme n’aura aucun mal à se faire engager comme groom au Moustic Hotel, dès la première page du journal tout fraîchement imprimé. C’est un clin £il : le directeur de l’hôtel ressemble étrangement à Jean Dupuis…

Spirou partage les seize pages publiées, pour moitié en couleurs, pour moitié en noir et blanc, avec Tif et Tondu et des héros venus des Etats-Unis comme Flash Gordon – qui devient Guy l’Eclair en traversant l’Atlantique. Le journal se veut éducatif et imprégné de valeurs morales positives.

On y trouve également des contes, des jeux et des rubriques comme le Club des amis de Spirou, une communauté de lecteurs bâtie sur un code d’honneur en dix points, qui comptera jusqu’à 70 000 membres.  » C’est en quelque sorte une transcription sur papier des mouvements de jeunesse, plaisante Sergio Honorez, directeur éditorial des éditions Dupuis. Mais c’est surtout l’illustration que la complicité avec le lecteur constitue l’un des piliers du journal. « 

Et puis Jijé est arrivé

La guerre éloigne Rob-Vel de Spirou. Le sort du groom est confié à Joseph Gillain, dit Jijé, un touche-à-tout de génie. C’est sous sa plume que Spirou prend son envol. Il lui adjoint un nouveau comparse, Fantasio, un journaliste gaffeur dont les maladresses vont servir de moteur aux aventures de Spirou. Jijé s’entoure d’une équipe de choc : Franquin, Morris et Will viennent étoffer le journal de leur imagination. Ce sont les piliers de l’école de Marcinelle, celle des gros nez, de la caricature et de la loufoquerie, que l’on opposera longtemps à la ligne claire défendue par Hergé, employé dans la maison d’en face, Casterman.

En 1947, Spirou change encore de dessinateur. Franquin prend le relais en cours d’histoire. Il le conservera pendant vingt-deux ans. Avec lui, le jeune héros voyage de plus en plus loin. Les caractères des personnages évoluent. Fantasio devient plus sérieux, voire parfois colérique. Les histoires intègrent de nouveaux personnages comme le marsupilami, Zantafio ou le comte de Champignac. Elles s’enchaînent à un rythme incroyable. Spirou occupe chaque semaine les deux premières pages de l’hebdomadaire qui porte son nom.

Le journal, lui, devient le laboratoire des éditions Dupuis. On y teste les auteurs et les personnages qui pourront donner naissance à des séries. C’est ainsi que de nouvelles rubriques apparaissent, comme  » Les belles histoires de l’oncle Paul « . Un feuilleton mythique scénarisé par Jean-Michel Charlier et qui revisite l’histoire du monde en quatre pages dessinées. Les années 1950 seront aussi marquées par Yvan Delporte, l’emblématique rédacteur en chef qui imprégna le journal de son esprit farfelu et impertinent. C’est l’apogée de la créativité de Spirou, l’époque où la rédaction voit débarquer un hurluberlu désinvolte : Gaston Lagaffe.

Le même, mais en format miniature

A la fin des années 1960, les ventes du magazine commencent à baisser. Le personnage de Spirou change de papa pour la quatrième fois. Il est adopté par Jean-Claude Fournier qui l’animera pendant dix ans. Au fil du temps, la valse des pères continue. Nic et Cauvin, Chaland, puis Tome et Janry se succèdent pour veiller sur le groom. Le personnage évolue, ses histoires dévoilent parfois un côté moins enfantin qui le conduira jusqu’aux limites du polar.

Et voilà qu’il se dédouble ! Tome et Janry portent en effet le Petit Spirou sur les fonts baptismaux.  » C’est l’histoire du grand quand il était petit, explique Sergio Honorez. Un garnement déluré qui découvre les choses de la vie qu’il n’aura plus à apprendre plus tard…  » Ce nouveau héros s’épanouit dans des cases annexes à celles de la série historique et garantit ainsi une présence quasi continue de Spirou dans son journal.

Aujourd’hui, Morvan et Munuera ont repris la suite de ses aventures. Les éditions Dupuis se paient même le luxe de  » prêter  » leur personnage étendard à des auteurs qui reçoivent carte blanche pour développer des histoires indépendantes. Le dernier opus de ces opérations ponctuelles sort à l’occasion du 70e anniversaire de l’hebdo. Le Journal d’un ingénu, réalisé par Emile Bravo, présente la version de l’auteur sur la métamorphose du groom dans les années 1940.

Car en septante ans, Spirou aura connu de nombreuses vies. C’est sans doute de l’encrier de Marcinelle, dans lequel plusieurs dessinateurs de talent ont trempé leur plume, qu’il tire le secret de sa longévité. Et d’un journal qui a réussi, chaque mercredi, à rassembler plusieurs générations de lecteurs. Une famille de lecteurs autour d’une famille d’auteurs, en quelque sorte…

Ol. H.

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