Spider-Man, dur atterrissage à Broadway

Après une série noire d’incidents divers, Spider-Man Turn Off The Dark, officiellement ouvert le 14 juin suite à six mois de previews publiques, triomphe commercialement à Broadway sur la musique de la moitié d’U2. Même un investissement de 75 millions de dollars n’empêche pas un câble récalcitrant de fusiller le show du légendaire héros volant…

Mardi 5 juillet. Cela arrive à dix minutes de la fin alors qu’un combat aérien oppose Spider-Man au Green Goblin, le mauvais génie au teint de chewing-gum écrasé. Cela fait trente secondes que les deux apprentis Icare voltigent au-dessus de la scène comme du public, dans un sinueux ballet circassien. On est dans un luxueux cartoon 3D sans lunettes disgracieuses lorsque la belle machine aérienne cale brut et net : le Goblin et son meilleur ennemi restent bloqués à plusieurs mètres au-dessus du parterre, l’un en dessous de l’autre. Proches et impuissants. Spider-Man parvient à filer en coulisses, pas son vert partenaire, suspendu tel un crabe fluo lamentable. Une voix de speakerine télé-sidérale annonce l’interruption du spectacle : les consommateurs de Broadway qui ont payé jusqu’à 362,40 dollars (256 euros) le meilleur siège, prennent le couac comme une farce maléfique supplémentaire, et patientent. Cela prend dix minutes pour dégager le câble coincé dans le décor cartonné symbolisant le Chrysler Building. Reconnaissons à l’acteur immobilisé – Patrick Page, reconnu pour ses interprétations shakespeariennes – un certain talent d’adaptation via une succession de grimaces supposées distrayantes. Le show reprend enfin, oubliant le combat avorté, pour se terminer assez vite sur une standing ovation.

Comme le plus souvent depuis son ouverture officieuse le 28 novembre 2010, le Spider-Man au Foxwoods Theatre de la 42e Rue, est complet : huit fois par semaine, un mix de 2 000 New-Yorkais et de touristes consuméristes, viennent tâter du comic Marvel créé en 1962, et popularisé par trois adaptions ciné sorties entre 2002 et 2007. L’ouverture en preview du show à l’automne 2010 (1) sonne le début d’une saga cacophonique impliquant la metteuse-en-scène vedette du Roi Lion, deux U2, un producteur de rock milliardaire, un budget qui flambe inexorablement et, last but not least, une série d’accidents parfois graves. Le plus spectaculaire intervient le 20 décembre lorsqu’un des dix Spider-Men assumant les acrobaties fait une chute de sept mètres. Il s’en tire avec une fracture du crâne, une épaule démise, un poumon abîmé, quatre côtes et trois vertèbres fracturées. Les images, visibles sur YouTube sont spectaculaires (2). Consciente de l’effet possiblement désastreux de l’incident – le cinquième du genre -, la production retarde une nouvelle fois la première, initialement prévue pour février 2010 (…) et s’assure qu’aucune image amateur – photo ou vidéo – ne sortira désormais plus du Foxwoods Theatre.

Bande dessinée impie

Curieux hasard : lors de notre première vision de Spider-Man Turn Off The Dark à Broadway, à la mi-janvier 2011, un autre incident de câble oblige l’arrêt du show pendant quelques minutes, laissant une Arachnée pataude deux mètres au-dessus de Peter Parker/Spider-Man. Dans la foulée, les médias new-yorkais rompent l’accord tacite de ne pas publier de compte-rendu avant la première officielle : les reviews s’avèrent largement assassines, reprochant au show ses pseudo-procédés de tragédie grecque, l’imbroglio des cascades ratées et le score peu probant de Bono et The Edge. Le fait que les deux U2 passent leur temps en tournée mondiale depuis juin 2009, ne crédite guère leur implication d’auteurs-compositeurs devant graisser sans cesse les rouages d’une exigeante mécanique Broadway. Le CD du show sorti en juin (3) atteste que Bono et The Edge, sans être indigents, n’ont pas réalisé un travail musical à la hauteur de leur mondiale réputation. Si la bluette romantique I Just Can’t Walk Away est bien le prototype sacchariné attendu dans les environs de Times Square, d’autres titres ( DIY World, Pull The Trigger) ont du mal à défroisser une impression de déjà entendu, genre Tommy des Who en nettement moins ébouriffant. L’interprétation de l’acteur principal, Reeve Carney -New-Yorkais de 28 ans au physique de beau gosse à la Jeff Buckley -, est convaincante, mais ne suffit pas à désamorcer le scepticisme critique. Six mois après les premières descentes en flamme du héros moyennement volant, Ben Brantley écrit, mi-juin 2011, dans le New York Times :  » Cette bande dessinée chantée, impie et indéchiffrable, n’est plus le fouillis qu’il était en février, il est juste ennuyeux.  » Jugement un peu sec pour le visiteur européen qui se laisse gagner par les trompe-l’£il d’un décor futé, la performance actée-chantée-dansée et, malgré tout, les envolées de Spider-Man que deux techniciens-alpinistes collés en permanence au plafond, tentent de ne pas transformer en vrille incontrôlée…

Synchro rock

Depuis Hair, créé en 1968 à Broadway, la culture rock est partie prenante de la comédie musicale new-yorkaise . Broadway se rêve toujours synchro avec l’époque : en 2010-2011, les post-punks de Green Day y transposent leur album American Idiot au St James Theatre à 422 reprises. Mais le show Spider-Man vise d’autres enjeux, plus internationaux. Bono et The Edge arrivent dans l’aventure en 2007, par connexion avec Julie Taymor, triomphale metteuse-en-scène du Roi Lion, mis en musique par Elton John, toujours à Broadway après plus de 5 300 représentations. Au sortir d’un premier round-up financier décevant, fin 2009, entre en scène Michael Cohl, promoteur canadien ayant fait fortune avec les tournées barnumesques des Stones et d’U2, un moment patron de la multinationale Live Nation. Cohl recapitalise l’affaire et assume les dépenses pharaoniques d’un show qui peine à trouver son moteur narratif. C’est lui qui, au printemps 2011, décide de  » libérer  » l’initiatrice Julie Taymor, interrompant les représentations du 19 avril au 11 mai, pour embaucher un nouveau team créatif chargé de repenser tout le spectacle. Quoi qu’on en dise, le Spider-Man de juillet a plus d’allure que celui de janvier, ayant pris du galon en concision comme en fluidité. L’idée de Cohl est de rentabiliser l’affaire à Broadway tout en l’emmenant dans le futur en résidence prolongée à Londres ou Las Vegas, faisant aussi tourner le machin barnumesque partout dans le monde, un peu à la manière du Cirque du Soleil installé pour quelques semaines dans les villes susceptibles de ramener assez de public bon payeur. Aucune date n’est fixée pour Bruxelles, mais vers 2015 (?), il n’est pas impossible que l’homme-araignée vienne aussi se prendre des pelles dans la toile belgicaine…

PHILIPPE CORNET Spider-Man Turn Off The Dark au Foxwoods Theatre, 213 West 42e Rue, New York, www.s

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