SIDA Enfin le vaccin!

C’est l’une des avancées médicales les plus attendues : vingt-six ans après la découverte du virus du sida, plusieurs équipes sont tout près de mettre au point un vaccin (voir page 88). Parmi elles, celle du professeur Jean-Claude Chermann,  » l’oublié du Nobel 2008 « , qui récompensa Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier. Dans un livre passionnant, dans lequel il est questionné au cordeau par le journaliste Olivier Galzi, le Pr Chermann raconte la traque du virus, mais surtout les recherches qu’il mène depuis 1988 sur les  » non-progresseurs « , des patients qui, bien qu’infectés par le virus HIV, ne développent pas le sida. Son pari fut de penser que ces individus étaient naturellement immunisés par un anticorps, qu’il a réussi à identifier. Un  » test pronostic non-progresseur  » sera bientôt disponible, suivi par la mise au point d’un anticorps thérapeutique et d’un vaccin, dont Chermann annonce déjà qu’il sera administré par voie orale. Ce n’est plus un espoir, c’est une réalité à portée de main.

Tout le monde doit connaître cette histoire, par Jean-Claude Chermann et Olivier Galzi. Stock, 263 p.

Toute recherche sur le sida à l’Institut Pasteur devait avoir l’aval de Luc Montagnier ; or, ce dernier, comme beaucoup, ne s’intéressait qu’à la voie vaccinale pasteurienne que j’appellerais  » voie classique « . Pour moi, cette voie était vouée à l’échec pour deux raisons : le virus changeait continuellement (d’un individu à l’autre et chez un même individu avec le temps) ; il n’y avait pas de modèle animal, indispensable à la réalisation de cette voie classique ; chez le chimpanzé (c’est moi qui avais fait l’expérience avec les Américains), le virus ne déclenche pas la maladie, et le macaque, il fait un sida en six mois.

[…] Le virus évolue et se représente différemment chaque fois. Donc les anticorps ne le reconnaissent pas et, du coup, il peut tranquillement s’accrocher et pénétrer dans la cellule. Ainsi, pour moi, cette voie vaccinale était vouée à l’échec et je l’ai dit en 1988. Cela s’est confirmé en 2003 par l’échec de la phase III du vaccin à Bangkok […].

Mais il y a eu, également en Thaïlande, de récents essais de vaccin utilisant la  » voie classique  » et qui viennent d’être présentés comme très prometteurs par les médiasà

Le vaccin utilisé dans l’essai dont vous parlez ne tient toujours pas compte de la variabilité du virus. […] J’ai correspondu par e-mail avec l’un des auteurs de cette étude, Don Francis, qui qualifie lui-même les résultats de modestes. […] En résumé, on peut dire qu’à ce jour le résultat de cette étude montre que ce vaccin immunise 30 % des vaccinés contre une souche, à un instant T. Un vaccin universel permettra d’immuniser tout le monde, contre toutes les souches, même si le virus évolue.

[…] Ce virus n’a rien de commun avec tout ce qu’on avait connu jusqu’à présent. C’est comme s’il avait un ordinateur de bord intégré, ce qu’on appelle les  » gènes de régulation  » : si on le met en panne, il répare tout seul et il contourne l’obstacle ! […] Je me suis posé la question suivante : puisque le problème, c’est la variabilité du virus, y a-t-il un élément dans, ou autour de ce virus, qui ne change pas ? Seul un élément invariable commun à tous les virus (HIV) pouvait apporter la solution. Lorsque je suis parti à l’Inserm à Marseille en 1988, j’ai donc décidé de m’intéresser à ceux qui étaient porteurs du virus sans développer la maladie. […] On a prélevé les sérums, on a mis en culture les cellules infectées, et on s’est aperçu que tous ces patients, que j’ai ensuite appelés  » non progresseurs  » (puisqu’ils ne développaient pas la maladie), avaient un point commun : tous disposaient d’un anticorps naturel dans leur organisme. J’ai alors émis l’hypothèse que cet anticorps était peut-être une protection naturelle face au virus. Mais qui dit anticorps dit antigène, puisque l’anticorps (défense) est la réponse à l’agression de l’antigène. […] En l’occurrence, je me suis aperçu que, lors du bourgeonnement, le virus emportait avec lui un bout de la membrane de la cellule infectée, un antigène que j’ai appelé R7V. J’ai vérifié sur toutes les souches différentes connues de HIV, en Afrique, en Asie, en Europe, aux Amériques, et chaque fois j’ai retrouvé ce bout de cellule emporté et acquis par le virus et donc non codé par le patrimoine génétique du virus, c’est pour cela qu’il ne varie pas. C’est ce que j’ai appelé le  » badge  » […] qui lui permet d’entrer ou de sortir de la cellule. Si on bloque le badge, on bloque le virus ! Mon hypothèse, qui s’est vérifiée par la suite, c’est que les patients non progresseurs avaient naturellement réussi à bloquer le badge (R7V) en fabriquant des anticorps contre lui. […] Tout le monde disait que cette découverte n’ouvrait aucune perspective pour un vaccin parce qu’elle allait à l’encontre du principe suivant : on ne peut pas s’immuniser contre soi-même. […] Imaginer que l’on puisse bloquer le virus en s’immunisant contre un bout de cellule qui nous appartient revenait pour eux à dire qu’on allait faire de l’auto-immunité […], ce qui risquait de développer à terme chez les patients des maladies dites auto-immunes. […] Ce n’est pas le cas, car lorsque le virus emporte ce bout de cellule (R7V) avec lui, il le retourne comme un gant ! Autrement dit, notre organisme ne le reconnaît plus comme lui appartenant. Donc, je pense sincèrement avoir trouvé la solution. Le virus emporte, parce qu’il en a besoin pour progresser dans notre organisme, un badge. Ce badge peut être bloqué par une réponse d’anticorps. Et il ne s’agit pas d’auto-immunité puisque l’antigène a été retourné. […] En vingt ans, tous les jours, mon analyse pouvait s’écrouler. Il suffisait qu’on me présente une nouvelle souche de virus qui n’avait pas le badge. Ce n’est jamais arrivé. Il suffisait aussi qu’un patient revienne un jour (je les suivais tous les trois mois) et que je m’aperçoive qu’il avait perdu son anticorps protecteur. Ce n’est jamais arrivé. Mon hypothèse de départ est devenue depuis longtemps une réalité scientifique, publiée dans de nombreuses revues. Par ailleurs, la voie vaccinale classique ayant échoué, je dis donc qu’aujourd’hui il n’y a pas d’alternative à la voie que j’ai créée.

[…] Si je prends les chiffres des personnes dont j’ai analysé les cellules (environ 2 000 patients), je constate que, sur cet échantillon, 25 à 30 % en moyenne sont des non-progresseurs. […] Si l’on apporte un test de dépistage  » progresseur/non-progresseur « , alors on pourra faire le tri entre ceux qui doivent être traités et ceux qui ne doivent pas l’être. Pour résumer, je suis d’accord pour qu’on traite tout de suite les progresseurs, mais pas les autres.

[…] J’ai déposé le brevet du  » badge  » à l’Inserm en 1996 et, en 2001, j’ai décidé de créer une société pour développer ma dernière découverte et l’accompagner. C’est la société Urrma, chargée de mener le développement jusqu’aux essais chez l’homme. Si l’on veut transférer le projet à l’industrie pharmaceutique, elle ne le prendra que lorsque le produit sera suffisamment avancé, c’est-à-dire aura été testé chez l’homme.

[…] Prenez la courbe du sida en Afrique. Il y a vingt ans, on nous annonçait une exponentielle avec une population décimée à l’horizon 2015. Cela ne s’est pas produit, fort heureusement. Tous les pronostics ont été déjoués et on a constaté que la courbe n’était pas exponentielle, mais qu’elle commençait à former un plateau et qu’environ 50 % des personnes infectées par le HIV étaient toujours vivantes. […] Nous avons fait des tests pour connaître le taux de non-progresseurs en Afrique. On est arrivé à un taux de 50 % des populations infectées naturellement protégées ! […] On s’attendait aussi à une hécatombe des nouveau-nés, puisqu’il y avait la transmission de la mère à l’enfant. Ça n’a pas été le cas non plus. La transmission de la protection naturelle pourrait donc être une explication. […] L’histoire est peuplée de virus qui ont décimé des populations entières avant que l’épidémie disparaisse [naturellement]. En tous les cas, c’est à vérifier. Par ailleurs, et c’est un paradoxe, dans cette hypothèse, le fait que l’Afrique n’ait pas été traitée peut jouer en sa faveur, dans la mesure où le virus mute pour résister aux traitements. Donc, plus on le combat, plus il devient sophistiqué.

[…] Le badge, c’est le talon d’Achille du virus. Il en a besoin, mais il ne peut pas le modifier, il ne lui appartient pas. Donc, puisqu’on ne peut pas vacciner contre le virus qui change tout le temps, il faut vacciner contre le badge pour obtenir les anticorps anti-R7V protecteurs. […] J’ai pris l’anticorps d’un patient, je l’ai mis dans une cellule infectée d’un autre patient, et j’ai pu constater que le virus était neutralisé. Par conséquent, il n’y a aucune raison que ça ne marche pas en passant chez l’homme. Je n’ai bien sûr jamais voulu le faire. […] Cela fait quatre ans qu’on essaie de produire l’anticorps ; on a connu des échecs, car les moyens matériels n’avaient pas été mis. Là, j’ai engagé des  » développeurs d’anticorps  » parmi les meilleurs spécialistes mondiaux. Mais, pour passer aux essais cliniques, il faut avoir assez d’anticorps. Tout va donc dépendre de notre capacité à le produire en grand nombre et à surmonter les obstacles que l’on a connus jusqu’à présent […] On compte procéder par étapes. La première, faire un kit pour dépister les non-progresseurs, il est en cours de développement. La deuxième, mettre au point un anticorps thérapeutique (en bonne voie) suivi d’un vaccin thérapeutique, c’est-à-dire qui soigne (par production d’anticorps protecteurs). La troisième, faire un vaccin prophylactique (qui prévient l’infection). Ce sera un vaccin par voie orale, pour assurer une protection dans le sang et dans les muqueuses. […] Pour le test pronostic non-progresseur, on a obtenu des Etats-Unis le droit de démarrer les essais cliniques. Pour cela, ils m’ont demandé de mener un certain nombre d’expériences : reproductibilité du test ; vérifier le test dans des conditions dites  » interférentes  » pouvant générer des faux positifs ; vérifier la présence d’anticorps anti-R7V protecteurs sur des centaines de sérums de patients américains infectés. Sur la population américaine, on est tombé à 25 % de patients naturellement protégés. […] Ensuite, on nous a demandé de voir quand les anti-R7V apparaissaient après l’infection par le HIV. La Food and Drug Administration (FDA), qui gère les autorisations de mise sur le marché des médicaments et aliments, nous a demandé de montrer la corrélation entre la présence d’anticorps et la non-progression. Nous l’avons démontrée. Tout cela a été fait. Nous n’avons plus qu’à produire le test anti-R7V en quantité industrielle. Pour cela, nous avons signé un contrat avec une société canadienne à Toronto, International Point of Care (Ipoc). La production industrielle est donc en cours. Mais elle implique une revérification complète du produit fini, ce qui, au moment où je vous parle, peut prendre encore six mois. […] Mon expérience de la découverte du virus du sida me fait dire que ce qui est validé aux Etats-Unis l’est ensuite dans le reste du monde. L’inverse, comme vous le savez, n’est pas toujours vraià Alors, plutôt que de me battre en France contre des personnes qui ne croient pas en moi pour ensuite devoir me faire reconnaître aux Etats-Unis, je me suis dit : faisons l’inverse. Vous voyez, j’apprends ! Et puis, c’est aussi une question de mentalité. En France, ça fait dix-sept ans qu’on me dit : il faut attendre, la maladie va peut-être finir par se déclencher chez les non-progresseurs. Aux Etats-Unis, sur la base de mes résultats, on m’a dit : même si votre anticorps ne fait que retarder la maladie de deux ans, on est preneurs ! Vous savez pourquoi ? Vous savez ce que coûte une année de traitement d’un malade pour la collectivité ? 20 000 dollars ! C’est colossal !

C. B.

 » Il n’y a pas d’alternative à la voie que j’ai créée « 

 » Tout va dépendre de notre capacité à produire l’anticorps en grand nombre  »  » Le « badge », dont le virus a besoin pour progresser dans notre organisme, peut être bloqué par un anticorps « 

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