» Si on ne bouge pas, ce sera la guerre « 

Le bourgmestre de Blegny, député socialiste sortant, appelle les partis politiques à se remettre en question, sous peine d’être balayés au prochain scrutin. Il plaide pour une réduction drastique du temps de travail. Et voit en Jean-Pascal Labille le candidat idéal pour présider la fédération liégeoise du PS.

Ce n’est pas un simple signal de détresse, mais un retentissant SOS que lance Marc Bolland. La démocratie est en train de sombrer, avertit le bourgmestre socialiste de Blegny, ex-député wallon. Pour lui, aucun parti politique n’a pris la mesure du bouleversement en cours. Sa thèse : sans sursaut radical, l’Europe s’expose à un déchaînement de violence. Marginalisé de son propre aveu au sein du PS liégeois, Marc Bolland ne se contente pas de jouer au prophète de malheur. Il avance aussi des propositions pour refonder la démocratie.  » Je ne prétends pas détenir la vérité révélée, confie- t-il au Vif/L’Express. Je soumets des pistes de réflexion, en espérant que d’autres embraient. Si on ne bouge pas, on ira à la catastrophe lors des élections de 2018 et 2019. Ne pas voir qu’un séisme couve, ce serait de l’irresponsabilité absolue.  »

Le Vif/L’Express : Une Flandre dominée par la droite nationaliste, une Wallonie où le PS reste le premier parti. A première vue, le 25 mai n’a pas chamboulé la carte politique.

Marc Bolland : Erreur ! Il faut bien mesurer ce qui s’est passé : 140 députés d’extrême droite au Parlement européen, c’est très grave. Partout en Europe, on a assisté à une victoire de la peur. C’est la clé d’analyse majeure de ces élections. Y compris en Belgique, même si ça n’apparaît pas aussi nettement dans les résultats. Le MR progresse, mais tous ses électeurs adhèrent-ils à l’idéologie libérale ? Non, bien sûr. Beaucoup ont voté par peur de ce qu’on leur a mis dans le crâne, la peur d’un PS qui transformerait la Belgique en un pays d’assistés et de paresseux. Dans le vote PS, le réflexe de la peur a joué aussi : la peur de la N-VA et du détricotage de la sécurité sociale. La percée du PTB résulte également d’un vote de la peur – peur de l’avenir, peur de la précarité…

Quel remède apporter à cette peur ?

Nous vivons un bouleversement du monde. Selon le philosophe Michel Serres, l’humanité a connu trois révolutions : l’écriture, l’imprimerie et le numérique. Nous n’avons pas montré, tous partis confondus, notre capacité à intégrer cette dernière révolution. La conséquence, c’est que nos institutions ne sont plus la mesure de l’état de nos sociétés.

Que préconisez-vous ?

La démocratie implique de régler les problèmes par la voie de la raison, plutôt que par la voie des invectives et de la violence. Nous devons profiter du fait qu’il n’y a pas d’élection prévue avant les communales de 2018 pour travailler à une refondation de notre démocratie. Je dis bien : nous devons ! Chacun à son niveau doit s’y atteler. Les signaux envoyés par la population sont trop graves pour ne pas les intégrer immédiatement. En ce qui me concerne, je vais prendre des initiatives dans ma commune. J’ai deux, trois idées. J’aimerais permettre aux habitants d’initier des projets. Je songe aussi à installer un panel de cinquante citoyens tirés au sort, qui constituerait une sorte de sénat à côté du conseil communal.

Cela concerne la forme, la manière de faire de la politique. Mais sur le fond ?

Nous devons révolutionner notre approche de la question de l’emploi. Je rejoins l’ancien Premier ministre français Michel Rocard et l’économiste Pierre Larrouturou : si on veut réellement combattre le chômage, il faut réduire le temps de travail.

Dans quelle proportion ? Faut-il aller vers les 35 heures, les 32 heures ?

35 heures, c’est de la gnognotte. Passer de 38 à 35 heures, cela ne fera que créer des conflits. Cela ne permettra pas de répondre aux interrogations – légitimes – du patronat : comment payer ça ? Je pense qu’il faut prendre le problème à la racine, et donc passer à 28 ou 26 heures. La réflexion de base, elle est macroéconomique, et je demande qu’on ne la rejette pas d’un revers de la main. Avec la révolution informatique et la hausse de la productivité, la machine fait le travail à la place de l’homme. Cette révolution ne va pas s’arrêter. On aura de moins en moins besoin de bras et de cerveaux humains. Avec pour conséquence une société où des centaines de milliers de familles sont mises sur le côté, alors que la richesse continue d’augmenter. La révolution numérique à laquelle nous assistons au balcon, si nous ne l’intégrons pas, nous sommes morts. Si on ne partage pas le travail, on va au clash, à l’explosion. Appelons un chat un chat : ce sera la violence à grande échelle, des guerres civiles.

En tant que premier parti francophone, le PS porte une responsabilité particulière ?

Tous les partis doivent se remettre en question. Mais de grâce, pas en organisant un grand séminaire pour avoir sa photo dans la presse, et ensuite classer le dossier à la verticale… Au PS, nous disposons d’un centre d’étude formidable. Mais à côté des experts-techniciens de l’Institut Emile Vandervelde, le parti doit dégager des ressources pour aller au contact des gens sur le terrain. Je propose de créer une structure clairement identifiée d’animation politique, à côté de l’IEV. La fédération liégeoise pourrait prendre une initiative en ce sens.

Vous rejoignez Frédéric Daerden qui, dans L’Echo, a déploré l’absence d’esprit d’équipe au PS liégeois ?

La fédération est dans un état de non-fonctionnement politique depuis la disparition de Guy Mathot, qui avait lancé un processus de rénovation qu’il serait temps de terminer. Depuis dix ans, elle n’a émis aucune opinion sur aucun sujet. Rien ! Zéro ! Une fédération, comme son nom l’indique, doit fédérer les énergies, et pas servir de marchepied pour certaines carrières personnelles.

Qui serait le meilleur président de la fédération liégeoise ?

Jean-Pascal Labille a prouvé que, s’il était candidat, il serait sans doute le meilleur d’entre nous. Frédéric Daerden ferait aussi un excellent candidat, de même qu’Isabelle Simonis, une femme d’envergure. Mais au-delà des personnes, il faut avant tout retrouver une dynamique de projet.

Le prochain ministre-président wallon doit-il être Jean-Claude Marcourt ou Rudy Demotte ?

Ne mettons pas la charrue avant les boeufs, il faut d’abord que les socialistes soient au gouvernement. Avec Demotte et Marcourt, on a deux personnes de grande qualité. Cela dit, dans l’équilibre entre le Hainaut et Liège, ce serait un signal positif de confier la fonction à un Liégeois. Par sa progression électorale importante, Marcourt mériterait d’exercer la fonction.

Après un mandat de cinq ans comme député, vous n’étiez pas candidat le 25 mai. Pourquoi ?

J’ai voulu manifester le fait que le décret décumul, qui veut empêcher les bourgmestres de siéger au Parlement wallon, était un décret innommable. Ce n’était qu’un moyen cynique, de la part d’Ecolo, pour attaquer frontalement l’implantation locale du PS. J’ai appris à apprécier l’apport des écologistes. Un député comme Manu Disabato manquera au parlement : il bossait, il amenait des idées. Mais en imposant ce décret, Ecolo n’a pas gagné une demi-voix. Les gens s’en contrefichent. Je me rappelle l’arrogance du premier discours d’Emily Hoyos comme présidente du parlement wallon : on va réduire le train de vie de l’institution, on va interdire les voyages à l’étranger, et je vais vous apprendre comment faire… En gros : vous êtes tous des profiteurs ! Des discours démagogiques comme celui-là font le lit du PTB et du PP. Frédéric Gillot, l’un des députés PTB, annonce qu’il va vivre avec 1 500 euros par mois. C’est la moitié de ce qu’il gagnait comme sidérurgiste. Je lui souhaite bonne chance.

Entretien : François Brabant

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