Sexe et rébellion

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Lou Ye mêle érotisme et politique dans le bouillonnant Une jeunesse chinoise (Summer Palace). Un film évidemment mal vu par les autorités chinoises…

Mentionner l’année 1989 en Chine, c’est immanquablement, de près ou de loin, rappeler les  » événements  » de la Place Tiananmen, la répression du mouvement étudiant par des forces de l’ordre au comportement brutal, venues littéralement écraser la jeune opposition… Lou Ye n’en a cure, lui que les autorités ont déjà plusieurs fois eu dans leur collimateur pour l’audace qui marque ses films. Le cinéaste que révéla naguère le passionnel et passionnant Suzhou River aggrave même son cas en conjuguant, dans son nouveau film, la provocation sexuelle à la subversion politique ! Une jeunesse chinoise ( Summer Palace) prend en effet pour héroïne une jeune fille quittant son village, sa famille et son fiancé pour aller étudier à Pékin, où elle fera la découverte d’un amour physique intense, sur fond de révolte estudiantine pour la démocratie.

 » La liberté se conjugue sur plusieurs modes, le plus intime comme le plus sociétal, explique Lou Ye. Il m’a paru naturel de rapprocher l’évolution sexuelle de Yu Hong du cadre collectif où s’est mis à bouillonner le mouvement étudiant de 1989.  » Et le film d’explorer avec une franchise peu banale (inédite dans le cinéma chinois) la relation torride et secouée de la jeune fille avec Zhou Wei, un autre étudiant, tout en évoquant, de manière non moins gonflée, le début des manifs menant à l’escalade et à la sinistre répression de Tiananmen. Une jeunesse chinoise saisit sensuellement la fièvre d’une génération qui défie les tabous, espère et puis déchante. Entre récit d’une éducation sentimentale, érotique, et rappel historique d’une griserie de liberté violemment stoppée net, l’£uvre forte et significative de Lou Ye plonge le spectateur dans une réalité palpable, que des interprètes pleins d’engagement contribuent à rendre puissamment concrète.

Présenté en compétition au Festival de Cannes en mai 2006, le film devait valoir quelques mois plus tard à son auteur une peine de  » bannissement  » de cinq ans, période au cours de laquelle il lui est interdit de tourner ! A l’époque du Festival, lorsque nous l’avions rencontré, Lou Ye ne se faisait pas vraiment d’illusions, expliquant à mots à peine couverts que, quoi qu’il arrive, un film interdit pouvait circuler sous forme de DVD dans des milieux motivés, principalement chez les jeunes.  » Personne ne pourra empêcher la jeunesse de vouloir plus de liberté, commentait-il, même si nous, la génération des années 1985- 1989, avons connu une ouverture inédite, qui a donné beaucoup d’espoirs avant la cruelle désillusion que l’on sait… Mais les aspirations demeurent. En Chine, désormais, les nouvelles technologies digitales permettent à de nombreux jeunes réalisateurs de tourner puis de diffuser leurs films en marge du système officiel  » (1).

Loin de tout militantisme, mais reflétant de façon saisissante une époque clé telle qu’ont pu la vivre ses protagonistes étudiants, Une jeunesse chinoise allie style et contenu avec un lyrisme qui ne saurait véhiculer de sentiment défaitiste. Il brûle dans ce film une flamme qu’aucun pouvoir ne saurait éteindre.

(1) Celui-ci comprend une série de studios reconnus, dans différentes régions, qui peuvent produire des films soumis à autorisation préalable.

Louis Danvers

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