Sexe et plaisir, couple improbable

En un demi-siècle, les mours se sont certes libérées, mais, au féminin comme au masculin, beaucoup peinent toujours à atteindre le nirvana. Car, si les mentalités ont évolué, de nouveaux obstacles ont surgi sur la route.

Le rapport de force entre les sexes a bel et bien changé dans la foulée de Mai 68.  » L’amélioration du statut social des femmes, liée à l’essor remarquable de leur niveau d’études et à leur entrée massive sur le marché du travail salarié, a contribué à augmenter nettement leur autonomie vis-à-vis des hommes « , écrivent Nathalie Bajos et Michel Bozon, dans leur Enquête sur la sexualité en France (La Découverte, 2008). Preuve de cette émancipation, les chercheurs citent  » le contrôle croissant qu’elles exercent sur la procréation (contraception moderne et recours à l’IVG), qui a transformé profondément leurs aspirations et leurs expériences en matière de sexualité « . Oui, mais…

Le désir féminin, l’éternel incompris

Ce changement n’a pas eu l’effet attendu. Au contraire, il s’est transformé en  » néocolonialisme masculin « , affirme Jean-Paul Mialet. Dans Sex aequo, le quiproquo des sexes (Albin Michel, 2011), le psychiatre et neuropsychologue se réjouit de la prise en compte de l' » appétit érotique  » de ces dames. Tout en nuançant aussitôt :  » Le problème est que cet appétit est le plus souvent formulé en termes masculins : il n’y est question que de performances. Encouragées par la mode de la liberté sexuelle, certaines femmes mettent un point d’honneur à se comporter semblablement aux désirs des hommes. Devenue une obsédante course à l’orgasme, l’émancipation sexuelle prend pour elles la forme d’une aliénation à la performance quantitative.  »

Un fonctionnement aux antipodes de celui du sexe féminin, juge le psy :  » Le plaisir de la femme s’apprécie en termes d’intensité, celui de l’homme, en termes de quantité. Il naît par un baiser dans le cou, un genou effleuré et se développe sur l’ensemble du corps, quand celui de l’homme est provoqué, avant tout, par les caresses génitales.  » Les années passent, les tabous sautent. Mais le désir féminin demeure l’éternel incompris… L’industrie du sexe a largement contribué à faire triompher le plaisir du mâle. Le X, exclusivement calqué sur des fantasmes masculins, s’est immiscé dans les chaumières. Parallèlement, le porno chic a déferlé dans les pubs pour les produits cosmétiques, la haute couture. Le film cochon devient un produit culturel comme un autre.

En 2006, lors d’un sondage sur le sujet, 1 Belge sur 3 considère excitant de regarder du matériel pornographique à deux. La gymnastique de Rocco Siffredi et consorts a servi de modèle à Monsieur et Madame Tout-le-monde. La sodomie, figure imposée du porno, est ainsi devenue une pratique courante, une corde que chaque coucheur et coucheuse se doit d’avoir à son arc. 30 % des hommes et 25 % des femmes ont déjà testé la pénétration anale, selon un sondage réalisé par TNS Dimarso pour Le Vif/L’Express.  » Elle est considérée, de plus en plus, comme un passage obligé, constate Jean-Paul Mialet. Comme descendre une piste noire quand on prétend être un bon skieur…  » Quant à la fellation, elle est devenue si banale que  » les ados la pratiquent sans même se poser de question, note le gynécologue et andrologue Sylvain Mimoun, auteur de Ce que les femmes préfèrent (Albin Michel, 2008). L’erreur, c’est de considérer la sexualité comme un catalogue de pratiques. Cela doit rester un jeu à deux, fondé sur l’amusement et la complicité « .

Et si la libération sexuelle n’avait, tout simplement, pas eu lieu ? La vie intime des Belges demeure bien plus épanouie qu’au siècle dernier, mais  » chacun se sentirait obligé d’être performant dans sa sexualité « , constate Jacques Marquet, sociologue à l’UCL. Tandis que l’interdiction de certaines pratiques s’est muée en une obligation de tout faire.  » La libération s’est transformée en injonction. Un individu qui n’a pas une vie sexuelle satisfaisante reste un individu incomplet.  » Une enquête menée en Belgique sur les comportements sexuels a montré que c’était le cas de presque la moitié des personnes interrogées. Les jeunes étaient le groupe le plus influencé par cette norme : parmi les 14-24 ans, plus de 60 % y adhéraient.

La presse féminine, elle aussi, enjoint à ses lectrices d’être efficaces sous la couette. L’hebdomadaire Flair leur fait passer le test :  » Etes-vous au top sexuellement ?  » Glamour offre  » 10 conseils pour réussir son coup d’un soir « . Le mensuel recense aussi les  » 4 bonnes raisons de se taper un jeunot  » et vient parfois en aide à son public :  » Mon mec est un mauvais coup, help !  »  » Tout le monde veut son compte de jouissance, commente Jean-Paul Mialet, mais c’est une jouissance individualiste !  » Un sport collectif dans lequel chacun finit par jouer perso…

Une nouvelle fragilité masculine ?

L’homme semble donc le grand gagnant de la nouvelle donne sexuelle. Pas du tout ! disent les psys. La révolution sexuelle n’a pas non plus profité à ces messieurs qui, désormais, doutent d’eux-mêmes. Effrayés par les nouvelles exigences des femmes, ils se jettent dans le cabinet des spécialistes, se procurent du Viagra et des stimulants sexuels en tout genre : une vraie crise de la masculinité !  » Aujourd’hui, beaucoup de femmes exigent des partenaires fonctionnels. Elles ne veulent pas d’un type qui a des pannes et le font savoir !  » constate Pascal De Sutter, professeur à l’UCL…  » Tiens, c’est bizarre, avec mon ex, il n’y avait jamais ce problème-là  » ;  » Ah, c’est déjà fini ?  » ;  » Avant, je me sentais à la hauteur « … Les sexologues ont vu défiler les patients en souffrance. Et même des moins de 30 ans :  » Ils font face à des très jeunes femmes exigeantes sur tous les plans et qui sont très dures avec leurs partenaires, estime l’auteure de La Mécanique sexuelle des hommes, Catherine Solano. Leur empathie a diminué. Elles sont dans une logique de consommation qui devient dramatique.  » Et de citer l’exemple d’un tout jeune garçon, traumatisé par sa belle :  » Quand elle a vu qu’il n’avait pas d’érection, la jeune fille lui a balancé :  » Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ?  » Nous passons notre temps à rattraper des catastrophes comme celle-ci…  » Décidément, l’amour n’est pas une partie de plaisir.

SYLVAIN MORVAN, AVEC LAURIANE DAVID ET SORAYA GHALI

 » L’erreur est de considérer la sexualité comme un catalogue de pratiques « 

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