Ses mots pour le dire

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Pas de tabou. Pas de langue de bois. Samir Addhare s’y était engagé. Il a tenu parole. Même si le moment est délicat, certes, mais opportun. Voile, intégration, radicalisme, sécurité, regroupement familial… autant de sujets brûlants auxquels on ne peut plus répondre par des dérobades coupables. Jusqu’ici, l’ambassadeur du Maroc en Belgique s’était tu. Une voix off qui, aujourd’hui, se fait entendre et qui a choisi Le Vif/L’Express pour s’exprimer. Une démarche inhabituelle et courageuse. Les diplomates, de fait, ne sont-ils pas tenus à la discrétion ? L’interview-événement que nous publions est d’autant plus légitime que la communauté marocaine ou belgo-marocaine installée en Belgique compte, selon l’ambassade, quelque 600 000 personnes, dont 88 % bénéficient de la double nationalité. Une réalité non négligeable pour un pays de 10,6 millions d’habitants. Une communauté confrontée, le plus souvent, à une situation socio-économique  » dramatique qui se manifeste surtout par une demande accrue du référent identitaire qu’est l’islam (…) devenu une idéologie (…) instrumentalisé au détriment de notre identité nationale et de nos valeurs traditionnelles « , constate Samir Addhare. Un islam qui, à la marge, flirte dangereusement avec un radicalisme pur et dur, qui n’a pas hésité à frapper, un an avant Madrid, Casablanca, au c£ur même du royaume de Mohammed VI.  » Nous savons que les poseurs de bombes peuvent être influencés par des agitateurs venus de Bruxelles, des Pays-Bas ou d’Allemagne (…). C’est pourquoi j’appelle tous les services concernés à travailler main dans la main (…) « , lance Samir Addhare. Et l’ambassadeur de plaider pour que la Belgique permette,  » dans le cadre d’une action concertée, que le Maroc encadre la communauté marocaine de Belgique en conformité avec les valeurs de tolérance et d’ouverture que nos deux pays partagent « . Il évoque aussi la possible création d’un institut de formation pour imams géré en commun par le Maroc et notre pays. Des propositions sans doute sulfureuses pour les opposants au royaume chérifien. L’encadrement ne favoriserait-il pas, indirectement, leur mise au pas ?

 » L’intégrisme a déjà pris pied dans la société belge, il faut en être conscient (…). Les différentes informations qui me parviennent confirment que la radicalisation devient un problème très sérieux (…). On l’a laissé faire pendant trop longtemps sous prétexte de liberté d’opinion (…). Ce mouvement s’est insinué dans la politique belge (…). La balle est dans le camp de la Belgique.  » L’analyse de Samir Addhare tombe dru. Et elle oblige à regarder la réalité en face. L’heure de vérité. Radicalisation d’une partie de la communauté belgo-marocaine d’un côté, raidissement d’une certaine opinion belge, de l’autre, la fêlure se creuse. Tout bénéfice pour les extrémistes musulmans qui ont l’art de se faufiler dans toutes les failles d’une Belgique fragilisée par ses problèmes communautaires et économiques.  » Il y a tout un travail à faire qui incombe, en grande partie, aux décideurs politiques belges (…) et auquel, au Maroc, nous voulons contribuer « , avance encore Samir Addhare.

Agir, prendre ses responsabilités, oser. Le défi est immense. Impossible, toutefois, de le contourner, de fuir, de laisser, une fois de plus, les problèmes s’enliser. Oui, le monde politique belge doit s’engager. Il y a urgence. Avec le Maroc ? Peut-être. En imposant judicieusement les balises et garde-fous qui protègent notre démocratie. Car, quand il s’agit de lutter contre un radicalisme rampant à la progression inquiétante, refuser une main tendue, n’est-ce pas vivre dangereusement ?

Christine Laurent

Refuser une main tendue, n’est-ce pas vivre dangereusement ?

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