Sens et beauté

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le créateur de Kirikou signe un conte visuellement sublime et chargé de sens, à l’heure d’un nécessaire dialogue entre monde arabe et Occident

Le cinéma de Michel Ocelot est un voyage. Son animation, à la fois économe et inventive, aime féconder le terreau des cultures africaines. Et, après l’Afrique subsaharienne, où il est né et où il a situé les aventures du brave et minuscule Kirikou ( Kirikou et la sorcière, Kirikou et les bêtes sauvages), c’est au nord du continent qu’il inscrit son nouveau film, un Azur et Asmar aussi beau qu’important.

Jouant la carte du conte et du merveilleux avec une franchise devenue aujourd’hui peu banale, le réalisateur français aborde de manière non moins frontale le sujet crucial des rapports entre monde arabe et Occident.  » Je savais dès le départ, voici six ans, que le thème était important, explique Ocelot, dont le long travail sur Azur et Asmar débuta avant les attentats du 11 septembre 2001. Mais chaque nouvel épisode qui est venu alimenter l’hostilité entre les cultures, la montée des communautarismes, du fondamentalisme et de la violence a renforcé ma détermination à mener ce projet à terme.  »

Féerie

Chargé – mais jamais surchargé – de sens, le film a pour héros deux enfants, l’un blanc et blond, l’autre arabe, la nourrice du premier et mère du second les élevant comme des frères dans le cadre médiéval d’un temps déjà ancien. La séparation d’Azur et Asmar, provoquée par le père du gamin aux yeux bleus, durera le temps d’atteindre l’âge adulte. C’est alors qu’Azur traversera la Méditerranée pour retrouver son frère de lait, et celle qu’il considère comme sa mère. Tous deux attachés à une quête identique (délivrer une fée), ils devront dépasser leurs différences désormais affirmées pour réussir leur mission et redevenir proches, par-delà les préjugés…

Très attendu par les nombreux admirateurs de ses films précédents, Azur et Asmar comble les espoirs tant sur le plan de la forme, absolument superbe, que sur celui d’un propos fustigeant racisme et extrémisme, tout en célébrant l’espoir d’un fructueux métissage. A rebours des tentations communautaristes et des raideurs intégristes, Michel Ocelot y rappelle quelques évidences nécessaires, comme le respect de la culture de l’Autre, mais aussi le droit d’en critiquer les excès (une scène magnifique lève littéralement le voile sur une féminité que d’aucuns veulent cacher). Le film s’adresse à tous, aux enfants bien sûr par le premier degré du conte arabe splendidement incarné, mais aussi aux adultes, par la claire évidence d’un propos qui se veut résistant aux tendances lourdes d’une époque où fleurissent les extrémismes. Et il le fait avec autant de grâce que de détermination.

Visuellement, Azur et Asmar est une réussite totale. S’inspirant d’une imagerie que marquent, d’une part, la peinture occidentale de Van Eyck, de Fouquet et des Très Riches Heures du Duc de Berry, de l’autre, la culture arabo-andalouse et celle du Maghreb, mais aussi (pour les costumes) la persane, Ocelot crée un environnement féerique. Celui-ci est encore mis en valeur par le parti pris d’un éclairage irréaliste, où la lumière n’a pas de source apparente et fait de l’écran une toile chatoyante aux infinies splendeurs.  » Il fallait que cela soit beau !  » clame celui qui espère  » faire du bien aux gens, leur donner la dignité qu’ils méritent : quand les gens se sentent sûrs d’eux, ils n’éprouvent pas le besoin de haïr, de casser…  » Une noble ambition, qu’ Azur et Asmar concrétise avec la plus grande éloquence.

L.D.

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