» Selon qu’on est faible ou puissant… « 

La fraude via les sociétés de liquidités a coûté cher à l’Etat. D’importants procès sont en cours ou se clôturent, avec des décisions qui peuvent fâcher. Réactions contrastées d’un directeur du fisc et d’un avocat fiscaliste.

Plus de 1 milliard d’euros : voilà ce que représente l’impôt enrôlé en matière de fraude réalisée via la vente de sociétés de liquidités, depuis la fin des années 1990. A ce jour, le fisc n’a réussi à récupérer que 20 % du montant. Si l’on tenait compte du chiffre noir de la fraude – celle qui n’est pas connue du fisc – on atteindrait des sommes plus importantes encore. Certains ont évoqué le chiffre de 3 milliards d’euros. Le mécanisme est astucieux au point que la jurisprudence des cours et tribunaux se révèle inégale, avec une tendance plutôt défavorable au fisc.

Le 10 février dernier, contre toute attente, la cour d’appel d’Anvers a ainsi réformé un jugement sévère du tribunal correctionnel. Le dossier concerne Lou Van Beirendonck, patron de Quintessence Consulting. Cet homme d’affaires de 48 ans, au bras long, est également surnommé  » Mr Assessment  » pour avoir développé des outils d’évaluation notamment dans le cadre de la réforme Copernic. Poursuivi pour une fraude de 2,6 millions d’euros, il s’était vu condamner, en première instance, à une peine de dix mois de prison avec sursis. Il s’agissait alors de la première condamnation pénale d’un vendeur d’une société de liquidités : généralement, ce sont les hommes de paille acquéreurs, voire parfois les organisateurs (conseillers fiscaux), qui règlent l’ardoise pénale. Mais, dans son récent arrêt, la cour d’appel a estimé qu’il n’y avait  » pas suffisamment de certitude  » pour établir l’intention frauduleuse dans le chef de Van Beirendonck. Il a donc été relaxé, de même que ses conseillers fiscaux.

Le 10 février dernier, la même chambre de la cour d’appel d’Anvers, composée différemment, a rendu un autre arrêt dans un autre dossier de sociétés de liquidités. Ici, tous les prévenus ont vu leurs condamnations à des peines de prison confirmées, y compris le vendeur, patron d’une PME.

Le mécanisme des sociétés de liquidités, tel que mis au jour par le fisc, implique le plus souvent une société dont la base imposable est élevée. Pour éluder l’impôt, cette société cible va transformer ses actifs en liquidités puis céder son fonds de commerce à une autre société, mise en place peu de temps avant le montage et quasi identique à l’ancienne (mêmes actionnaires). Dans le même temps, elle vend ses actions à un acquéreur, soit un homme de paille. Lequel finance le rachat avec les liquidités mêmes de la société cible (ce que le code des sociétés interdit), via un jeu d’échange de chèques rendu possible par une banque complice.

Investissements fictifs

Normalement, pour fixer le prix d’une telle vente, on tient compte du montant des actions auquel on soustrait l’impôt que l’acquéreur devra payer : si les actions valent 100 euros et que l’impôt dû s’élève à 30 euros, le prix fixé sera de 70 euros. L’astuce consiste à vendre les actions à un prix surévalué, de telle manière que la charge fiscale soit répartie entre vendeur et acquéreur. Le vendeur élude ainsi une partie de son impôt. Quant aux actions rachetées, elles doivent être fiscalement neutralisées. Elles font l’objet d’investissements fictifs impossibles à vérifier (parmi les cas recensés par le fisc : mines de charbon en Silésie, brevet de produit de nettoyage pour les ponts de bateau, brevet de stérilisation de tampons hygiéniques…) S’il est facile d’établir la culpabilité de l’acquéreur, il est beaucoup plus compliqué pour le fisc et la justice de démontrer l’intention frauduleuse du vendeur.

THIERRY DENOëL

à ce jour, le fisc n’a réussi à récupérer que 20 % du montant

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