Sans-papiers Des expulsions qui divisent

Les sans-papiers sont toujours dans l’incertitude. L’absence de politique claire en matière d’asile et d’immigration en Belgique (entre aile droite et aile gauche du gouvernement) comme en Europe, nourrit les tensions.

Quel gâchis… Vendredi 2 mai, Ebenizer Folefack Sontsa, un Camerounais de 32 ans, est retrouvé mort pendu dans les toilettes du centre fermé de Merksplas (lire p. 28). Un probable suicide – qu’une autopsie doit confirmer – qui symbolise le désespoir grandissant des sans-papiers.

Ceux-ci – ainsi que les avocats et associations de défense des clandestins – attendent en vain que les critères accordant une régularisation soient fixés par une circulaire ministérielle. L’accord gouvernemental sur l’asile, âprement négocié il y a quelques mois, pourra alors enfin être appliqué, et ce dans un cadre clair et objectif. La circulaire de la ministre de la Politique de migration et d’asile Annemie Turtelboom (Open VLD) doit notamment préciser la notion d’ancrage local ( lire son interview p. 16). Quant à la régularisation des sans-papiers qui ont reçu une offre de travail ferme, il faudra encore patienter, le temps de rédiger… une autre circulaire.

Le moratoire sur les expulsions refusé par la ministre

En attendant que la ministre libérale flamande remette ses copies, l’Office des étrangers, lui, poursuit inlassablement son boulot d’expulsion, comme la loi l’y autorise. Et, dans l’intervalle, Annemie Turtelboom fait la sourde oreille aux demandes des socialistes et du CDH, qui proposent un moratoire sur les expulsions. Une attitude que Bert Anciaux (VlaamsProgressieven, ex-Spirit), ministre flamand de la Culture, qualifie d’inhumaine et de scandaleuse. Mais, derrière l’intransigeance d’Annemie Turtelboom, on ne peut s’empêcher de voir la main de l’influent ministre de l’Intérieur Patrick Dewael (Open VLD), qui s’était montré intraitable sur ces dossiers sous le précédent gouvernement. Au sein de la majorité fédérale, le PS, appuyé par le CDH, tente de mettre la pression sur la ministre pour hâter le dossier. Mais les socialistes sont en tout cas bien isolés face à la fermeté des libéraux (Open VLD et MR) et à l’attentisme du CD&V, embourbé dans l’imbroglio de BHV.

La détresse des sans-papiers qui vivent chez nous est loin d’être unique en Europe. En France, on déplore aussi des morts, comme celle, récente, d’un jeune Malien qui s’est noyé dans la Marne en tentant d’échapper à un contrôle de police. Dans l’Hexagone toujours, depuis le 15 avril, le syndicat CGT a appelé les clandestins qui occupent un emploi régulier à se mettre en grève. Ce mouvement inédit, qui touche déjà près d’un millier de travailleurs en séjour illégal en région parisienne, paralyse plusieurs dizaines d’entreprises du bâtiment, du nettoyage et de la restauration : des secteurs confrontés à un manque de main-d’£uvre et qui recrutent un grand nombre de sans-papiers.

L’Europe se montre plus répressive

Ce moyen de pression intervient au moment où le gouvernement de François Fillon entrouvre la porte de l’immigration économique. Chère au président Sarkozy, la notion d’une  » immigration choisie  » fait son chemin, en France et ailleurs. En tout cas, il n’est plus question, nulle part, de régularisation massive. L’équipe Leterme a écarté cette idée, dès les négociations de l’orange bleue. L’Italie de Berlusconi et l’Espagne de Zapatero ont mis leurs projets au placard. La plupart des gouvernements européens craignent comme la peste l’appel d’air provoqué par ces campagnes massives, comme ce fut le cas au début des années 2000 en Belgique.

L’Europe, qui peine à harmoniser sa politique d’immigration et d’asile, se montre donc plus répressive. Illustration : un projet de directive de la Commission prévoit que les clandestins – ils seraient 8 millions en Europe – pourront être enfermés en vue de leur rapatriement pendant une période pouvant atteindre dix-huit mois. Ce texte, qui autorise aussi l’enfermement des candidats mineurs, traduit une radicalisation de l’Union européenne, calquée sur le conservatisme des majorités gouvernementales nationales. Bref, d’un côté, l’Europe souhaite  » débaucher  » des immigrés pour bosser dans certains secteurs. De l’autre, elle désire renforcer sa  » forteresse anti-clandestins « . Une politique d’équilibriste inévitablement dangereuse.

Thierry Denoël

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