SA SAINTETÉ JUDE LAW

L’acteur britannique campe le premier pape américain de l’histoire dans The Young Pope, magistrale minisérie créée et mise en scène par Paolo Sorrentino.

Bien sûr, il y eut le Ted Pikul du eXistenZ de David Cronenberg, bientôt suivi par le Dickie Greenleaf du The Talented Mr. Ripley (remake à l’anglo-saxonne de Plein soleil) et par le Gigolo Joe du Artificial Intelligence de Steven Spielberg, sans oublier Dan dans Closer, de Mike Nichols, Jeremy dans My Blueberry Nights, de Wong Kar-wai, ni, bien sûr, le docteur Watson, campé avec quelque ironie aux côtés de Robert Downey Jr., dans la franchise Sherlock Holmes relancée par Guy Ritchie. Et tant d’autres encore – jusqu’à Errol Flynn, qu’il incarna pour Martin Scorsese dans The Aviator,ou Thomas Wolfe, à qui il prêta tout récemment ses traits dans Genius, de Michael Grandage. A 43 ans, dont vingt-cinq d’une carrière bien remplie, Jude Law vient toutefois de trouver ce qui est peut-être son emploi le plus marquant dans The Young Pope (1), minisérie télévisée créée et réalisée par Paolo Sorrentino, où il campe rien moins que sa sainteté Pie XIII, le premier pape américain de l’histoire.

Bigger than life

Un rôle à marquer d’une pierre blanche. L’acteur britannique ne s’y trompe d’ailleurs pas qui, recevant dans un jardin vénitien vêtu d’un pyjama Armani à l’élégance décontractée, apprécie :  » Pouvoir interpréter Lenny Belardo (NDLR : l’identité du pape Pie XIII au civil) fut un vrai plaisir. Pour un acteur, le travail dépend souvent de l’écriture, et ce scénario était brillant – on y retrouvait clairement l’univers de Paolo Sorrentino, dont je suis un grand admirateur. Pouvoir me laisser guider par un script utilisant son langage cinématographique, ses références musicales, un tel sujet de même que les ambiguïtés et les contradictions des personnages m’a comblé. Comme acteur, on aspire toujours à trouver un grand rôle dans lequel pouvoir mordre…  »

La stature de celui-ci était telle que l’expression bigger than life semble n’avoir jamais été plus appropriée. D’autres auraient peut-être été intimidés, Jude Law confesse pour sa part n’avoir pas hésité une seconde. La perspective de pouvoir creuser un personnage se dévoilant progressivement sur les dix heures que dure la série n’y était sans doute pas étrangère ; celle de travailler avec un auteur au style aussi marqué que Sorrentino aura achevé de le convaincre.  » Je n’ai pas eu le moindre doute. Interpréter le pape constituait bien sûr un défi, tout comme me faire à l’idée de le jouer, et comprendre comment fonctionne cet univers, et la façon dont j’allais y évoluer. Mais tout coulait de source dans le scénario, et je savais que j’allais trouver en Paolo quelqu’un en qui je pouvais avoir une confiance totale. Il crée des mondes limpides, dont j’avais envie de faire partie. Un sentiment que j’avais déjà éprouvé avec Wes Anderson.  » Pour une collaboration non moins concluante le temps de The Grand Budapest Hotel.

Pas très catholique

Si le travail de comédien consiste notamment à toujours se réinventer, Jude Law a eu fort à faire avec The Young Pope, n’étant pas plus américain que catholique. En quoi il n’a pas vu d’inconvénient, sa neutralité à l’endroit du sujet constituant peut-être, avance-t-il, la meilleure garantie d’une juste distance. Quant au souverain pontife qu’il campe à l’écran, et qui semble vouloir imprimer un élan conservateur à l’Eglise, encore que présentant un profil complexe, il assure ne l’avoir basé sur aucun pape de l’histoire.  » Il était évident à mes yeux qu’il fallait créer quelqu’un, un individu réel qui soit bel et bien un nouveau pape. Au départ, j’ai cru qu’il me fallait étudier la foi catholique, la politique du Vatican et l’histoire de la papauté, mais je n’y ai pas spécialement trouvé de réponses. J’apprenais beaucoup de choses, mais qui ne m’étaient guère utiles dans mon approche du personnage. Paolo m’a suggéré de partir de l’homme, et une bonne partie de mon travail a consisté, au départ de ce qui était dit de Lenny dans le scénario, de lui créer une histoire. J’ai notamment imaginé une liste de règles qu’il appliquait afin de déterminer quel genre de catholique il était, mais aussi ce qui avait fait de lui un cardinal précoce, ce qui lui avait conféré l’énergie pour atteindre une telle position à un si jeune âge, de même que son attitude à l’égard des autres et son comportement dans une arène politique. Dès que j’ai eu une réponse à ces questions, le type de pape qu’il voulait être et ce qu’il espérait réussir m’est apparu beaucoup plus clairement. Ce processus créatif m’a conduit vers d’autres sources littéraires, mais pas spécialement vers l’étude de la foi catholique.  »

Un parcours spirituel polymorphe

Si l’on peut voir dans The Young Pope une série politique dès lors qu’elle porte un regard aiguisé sur l’Eglise et les questions qui l’agitent, il y a là aussi le portrait d’un homme et de son rapport à la foi. Un sujet qui n’a pas manqué d’éveiller l’intérêt de l’acteur, qui confesse un parcours spirituel polymorphe, résultat d’une grande curiosité en la matière.  » Ayant lu Allen Ginsberg et Jack Kerouac au crépuscule de l’adolescence, j’ai été, comme beaucoup d’autres dans ce cas, porté pendant un moment vers le bouddhisme. Mais je suis désormais intéressé par une sorte d’ordre naturel, notre place sur cette planète et notre association spirituelle avec la Terre, plutôt que par une quelconque figure divine iconique.  » Et d’expliquer pratiquer la méditation de façon assidue – sur base quotidienne idéalement.  » C’est un peu comme de l’exercice, cela m’aide à ne pas trop me prendre la tête et à concentrer mes actions. Quand j’ai commencé, au début de la quarantaine, j’ai été choqué de découvrir combien il m’était difficile de trouver vingt à trente minutes par jour pour me poser et penser. Cela nous paraît à tous tellement ardu. J’y ai vu une nécessité, pour me prouver que pendant vingt minutes au moins, je pouvais m’asseoir quelque part, mettre tout le reste entre parenthèses et juste respirer et essayer d’être. C’est une pratique vraiment constructive.  » Pas étrangère, sans doute, à cette coolitude émanant du bonhomme. Lequel, évoquant la perspective d’apparaître prochainement à l’affiche de King Arthur : Legend of the Sword sous les traits de Vortigern, conclut non sans humour :  » En un an, j’ai joué le pape puis un roi. Désormais, je ne puis que redescendre.  » Et de prendre congé sur un large sourire, définitivement zen…

(1) The Young Pope, sur Be1 à partir du 8 décembre. Lire l’interview de Paolo Sorrentino dans Focus Vif, page 30.

PAR JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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