Ruquier Jamais couché

Radio, télévision, livres, shows, pièces de théâtre… l’animateur et humoriste est sur tous les fronts en même temps. Une vraie PME à lui seul.

Il n’a ni secrétaire, ni bureau, ni voiture. Pas même une carte de visite ou une adresse professionnelle où le joindre. Laurent Ruquier existe-t-il vraiment ? C’est tout juste si on ne se dit pas que cette figure toute-puissante du paysage télé, qui vous reçoit en jean et polo dans les salons d’un grand hôtel parisien où il a pour habitude de tenir des réunions de travail, de déjeuner et de rencontrer les journalistes, n’évolue pas dans un monde virtuel. Car comment devient-on l’animateur télé le plus prolixe du moment, le stakhanoviste du petit écran le plus accompli de ces dernières années, en ayant pour seul outil de travail quelques bouts de papier épars sur lesquels sont jetés nonchalamment quelques idées vite griffonnées ? Et pour seul lien avec la petite entreprise qu’il tient à bout de bras un téléphone portable qu’il oublie de consulter ? Posé sur un coin de la table, l’objet ne semble être à ses yeux qu’un grelot, dont il n’a que faireà

Ruquier ? Une tête d’ado avec deux petits yeux bleus rivetés qui s’agitent dans tous les sens. Un rire en cascade qui démarre à l’improviste et ruisselle, pour finir en geyser. Et cet éternel sourire qui renvoie l’image d’un adulescent à l’ego inexistant et à la sympathie immédiate. Voilà bien un cas à part dans le monde de l’audiovisuel : une figure lisse, pas de réseau d’amis influents, ni d’ennemi qu’on lui connaisse. Pas de parrain dans le métier et pas la plus petite casserole à dénicher sur une fiche Wikipédia immaculée : juste lui et sa bande de complices, des sociétaires à la mode Bouvard, qu’il égrène dans ses émissions depuis des années (Bravo, Sarraute, Bénichou, Miller et les autres).

A 47 ans, ce natif du Havre, qui fit ses premiers pas dans le métier, à la fin des années 1980, en écrivant des sketchs pour Jacques Maillot, Jacques Martin ou encore Jean Roucas, est, trente ans plus tard, le recordman absolu des émissions, tous médias audiovisuels confondus. Même des coureurs de fond aux états de service impressionnants, comme Christophe Dechavanne, Arthur, Jean-Luc Delarue ou Jean-Pierre Foucault, n’ont jamais affiché simultanément à leur compteur, y compris au pic de leurs carrières respectives, une telle masse de rendez-vous. Car Ruquier, c’est, à lui seul, un programme quotidien sur France 2 – On n’demande qu’à en rire – installé à l’antenne depuis la rentrée de septembre, un deuxième, hebdomadaire, diffusé sur cette même chaîne, en seconde partie de soirée – On n’est pas couché – dont c’est la cinquième saison. Et un troisième, enfin, sur France 4, où, à raison d’une fois par mois, l’animateur propose une adaptation de l’émission quotidienne On va s’gêner qu’il anime sur Europe 1, à raison de deux heures par jour, depuis sept ans et qui est diffusée par Twizz, la station du groupe IPM depuis le 24 septembre. Au total, sur sa feuille de route en 2010, plus de sept cents heures d’enregistrements !

C’est ainsi que cet homme hybride, mi-journaliste, mi-saltimbanque, qui commence ses journées à 6 h 30 en épluchant la presse, enchaîne les émissions sur un rythme de marathonien avec une aisance déconcertante : si Ruquier se reconnaît  » de l’intuition  » et un  » sens poussé du public « , c’est d’abord un bourreau de travail. Car que fait-il quand il n’est pas en studio ? Il glisse dans les interstices de ses journées à l’emploi du temps millimétré des séances d’écriture soutenues : des livres – dont un ouvrage d’entretiens avec Claude Sarraute, en novembre 2009 – des pièces de boulevard, aussi, pondues en rafale et qui font salle comble. Sans oublier des spectacles qu’il produit (tours de chant et comédies musicales) ou des vedettes en herbe qu’il promeut, à l’image de l’imitateur Michael Gregorio : c’est là l’autre versant de l’activité professionnelle d’un boulimique qui aime à se dépeindre comme un simple  » façonnier « .

Car celui qui aurait pu faire fructifier son talent en développant une florissante entreprise de spectacles a préféré rester un artisan cossu : son échoppe paraît, en effet, plutôt modeste comparée aux rutilantes sociétés de production qu’ont développées, au fil du temps, quelques-uns de ses congénères devenus des nababs. L’argent ? Le dernier de ses soucis.  » Je n’ai pas à me plaindre « , explique l’intéressé, qui s’esclaffe :  » Je vis bien, j’ai trois maisons comme Cadet Rousselle, je suis millionnaire, mais je n’aspire pas à être milliardaire !  » Ruquier est resté un  » simple  » salarié. Salarié de luxe, à vrai dire, avec des contrats mirobolants. Mais, à la télévision, c’est Catherine Barma qui produit ses émissions. Ses pièces de théâtre, il les vend à des producteurs indépendants. Sa signature vaut de l’or : livres ou DVD, il encaisse les royalties. Quant à ses spectacles – qu’il s’agisse de ses propres one-man-show, du retour sur scène de Marie Laforêt ou encore de cette comédie musicale, jouée à guichets fermés, inspirée du répertoire de Charles Aznavour – c’est la société québécoise Juste pour rire qui les produit. Comme si celui qui confie faire ce métier  » sans y être  » ne s’était jamais pris véritablement au sérieuxà

Et pourtant, ce statut d’amuseur semble parfois le gêner aux entournures, voire le desservir. Tout succès a son revers : si le Ruquier bateleur fait rire plusieurs millions de téléspectateurs et d’auditeurs par semaine, le Ruquier auteur peine à convaincre le gratin du métier. Ses calembours de café-théâtre et son côté potache ne sont pas forcément la meilleure des cartes de visite. Lui qui rêve de monter des pièces ambitieuses ne parvient pas toujours à convaincre des producteurs et des comédiens réputés, plutôt réticents à accoler leurs noms au sien sur une affiche. Dorment ainsi dans ses tiroirs pas moins de trois pièces de théâtre, dont une écrite cet été sur l’affaire Banier-Bettencourt. Intitulée Parce que je le vole bien, elle ne trouve pas preneur : si les dialogues sont prêts, manquent les principaux interprètes. Personne, à ce jour, ne s’est bousculé pour endosser l’un des deux rôles-titres. Approché pour incarner François-Marie Banier, Edouard Baer, par exemple, a décliné.

Aussi, quand on évoque devant Laurent Ruquier l’existence d’une  » liste noire  » de journalistes et d’animateurs qui porte le sceau de Nicolas Sarkozy et sur laquelle le chef de l’Etat l’aurait couché, au côté de la journaliste politique de France Télévisions Arlette Chabot, son visage rosit imperceptiblement. S’entendre  » blacklisté  » par le président de la République en personne, quelle reconnaissance, semble dire son regard ! Mieux qu’une belle part d’audience en prime time : l’£illet à sa boutonnière.

Renaud Revel

au total, en 2010, il aura enregistré 700 heures d’émissions

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire