Rome, grand-peur et décadence

Comment s’effondre un monde qui se croyait éternel. L’essai de Bryan Ward Perkins sur la fin de l’Empire sonne comme un avertissement sur notre propre déclin.

Depuis une trentaine d’années, des historiens remettent en question la thèse, en vogue depuis le XVIIIe siècle, du déclin continu de l’Empire romain suivi d’une capitulation face aux barbares, scellant la fin d’un monde. Mieux vaudrait parler, à les en croire, d’un gentleman’s agreement, eût-il parfois été contraint, entre Goths, Vandales, Burgondes… et Rome. La nature de cet échange ? La paix contre des territoires et des espèces sonnantes et trébuchantes.

Bryan Ward Perkins, archéologue et professeur à Oxford, s’insurge contre cette vision irénique. Il démontre que les envahisseurs germaniques se sont emparés par la force de vastes terres, sans aucun accord sur le partage des ressources avec les Romains, devenus leurs sujets. Qu’importe, ensuite, que la conquête adopte des formes rapides (l’Afrique du Nord, envahie par les Vandales en dix ans) ou lentes (la Gaule, que se disputent Romains, Bretons d’outre-Manche, Saxons, Francs, Burgondes, Alains, Goths… tout au long du Ve siècle). Que les nouveaux maîtres n’aient de cesse de parler et d’écrire le meilleur latin et de se fondre dans les institutions impériales. Que l’empire d’Orient, Byzance, servi par la géographie (le Bosphore), ait pu se prémunir des invasions jusqu’au XVe siècle. Querelle d’historiens ? Pas seulement. Bryan Ward Perkins, récompensé par le prestigieux prix Hessell-Tiltman pour l’Histoire, réagit en homme du XXIe siècle :  » Les Romains, avant la chute, étaient aussi convaincus que leur monde resterait, pour l’essentiel, tel qu’il était, que nous le sommes, nous, aujourd’hui. Ils avaient tort. A nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d’une fallacieuse assurance.  » Cet essai sur l’Antiquité tardive est donc à lire comme une sévère mise en garde, en forme de récit scrupuleux, sur un effondrement provoqué par des  » fuites impossibles à colmater « , dans un climat de guerre civile et de violence sociale, dopées par une crise de l’autorité.

Bryan Ward Perkins n’est pas un idéologue. Son inspirateur serait plutôt Sherlock Holmes. Fin limier, il est toujours en quête de preuves, dégotées dans les restes de poterie, la vitesse de circulation de la monnaie et l’essoufflement de la démographie. C’est peu de dire que le diagnostic de ce médecin légiste tenace et sombre est convaincant.

La Chute de Rome. Fin d’une civilisation, par Bryan Ward Perkins, trad. de l’anglais par Frédéric Joly. Alma éditeur/Essai Histoire, 362 p.

Emmanuel Hecht

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