Rock: fric frac

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Les déficiences de l’industrie du disque poussent à d’autres financements. Mais le rock est-il encore autre chose qu’une branche banale de l’entertainment ?

PledgeMusic, SellABand, ArtisteConnect, Oocto, Feed The Muse, Tune Fund, Indiegogo, RocketHub, ArtistShare: si vous êtes musicien, il est probable que vous pratiquiez ces noms de sites – il en existe une quarantaine – proposant de financer votre prochaine production discographique. Ainsi de PledgeMusic, qui prétend aux résultats les plus spectaculaires : taux de réussite à 90 %, une majorité d’artistes décrochant 140 % et au-delà de l’objectif initialement

visé.

Parmi les candidats récents qui pourraient témoigner de l’efficacité de la méthode, on coche un vieux groupe de soul britannique (Dexys), du rock pétroleur (Klaxons, Interpol) et même des revenants électros (Erasure). Créé en 2009, ce site facilite la liaison aux fans et le pré-achat par ceux-ci d’un produit musical en devenir. Preuve de sa popularité, PledgeMusic possède son propre  » slot « au festival rock le plus couru de la planète, le South By Southwest d’Austin, 300 000 visiteurs à chaque printemps: il y présente plusieurs dizaines de nouveaux noms.

Diversifier l’offre

La particularité de Pledge – et d’autres sites – est de diversifier l’offre : il ne s’agit plus seulement de pré-vendre un album mais d’avoir votre nom dans une chanson (511 euros), de recevoir une leçon en composition de l’artiste par Skype (204 euros) ou encore de le faire venir à domicile pour une prestation acoustique (1704 euros)(1). Sans forcément se traduire par des chiffres affolants : certaines demandes ne dépassent pas les 3000 dollars pour boucler l’intégralité d’un disque.

On est loin des années folles où certaines compagnies (à la Universal) dépensaient volontiers cette somme en une nuit de java à Bruxelles avec un artiste maison de passage aux studios ICP d’Ixelles. Un album vedette coûtant alors l’équivalent de 200 ou 300 000 euros. Sans compter les avances démentes, comme les 125 millions de dollars consentis par EMI à Robbie Williams en 2002. Ou plus récemment, en 2008, les 150 millions de dollars décrochés par Jay-Z pour une durée de dix ans chez Live Nation. De fait, on observe dans l’industrie du disque quelque chose qui ressemble à l’érosion planétaire de la classe moyenne : les très riches continuent à se multiplier et à prospérer, alors que la récession menace un certain nombre de prétendants plus fragiles, ceux-ci risquant une relégation à la frange alternative, underground, voire au CPAS de la musique.

C’est le cas d’un nombre croissant de musiciens inscrits sur les plates-formes de streaming, comme chez les Suédois de Spotify: si le nombre de clics n’est pas suffisant – on parle de quelques centaines de milliers -, ils ne toucheront simplement pas de droits, ceux-ci allant dans un pot commun synonyme d’oubliette financière.

Les gourmands ne se contentent plus d’une perception pour le moins maigrichonne : entre 0,006 et 0,0084 dollar le clic sur Spotify aux 50 millions d’utilisateurs, dont un quart en premium payant, évitant la pub. Ainsi à la sortie de son dernier album Ghost Stories en mai 2014, Coldplay a refusé une diffusion immédiate sur Spotify, arguant que celui-ci piratait les ventes du disque. Plus récemment, l’Américaine Taylor Swift a retiré l’entièreté de son catalogue de Spotify : il faut dire que son cinquième album, 1989, s’est vendu à 1,287 million d’exemplaires, rien que pour sa première semaine aux Etats-Unis.

Certaines études prédisent pourtant que l’effritement continu des ventes de musique – y compris dématérialisées via iTunes et autres – pourrait bien, au final, favoriser le streaming et faire émerger d’autres acteurs tels que YouTube Music Key. Confirmant aussi que le rock en particulier a perdu de son importance socio-politique, celle qui, des années 50 à la fin des années 70, en fit une arme de réflexion, de réactivité et d’engagement. Pas seulement un bruit plus ou moins plaisant destiné à remplir Internet de murmures divers. Ou, à l’image de l’extraordinaire récente contre-publicité de U2, une alliance en fanfare avec une multinationale en vue.

(1) chiffres trouvés pour The Free sur PledgeMusic mais variant fortement d’un artiste à l’autre.

PHILIPPE CORNET

Le rock en particulier a perdu de son importance socio-politique

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