Reynders Premier ? C’est  » neen « …

Il en rêve. Le président du MR consacre toute son énergie à ravir le poste de chef de gouvernement à Yves Leterme. Mais personne ne veut de lui, ni dans les rangs francophones, ni en Flandre. Pourtant, la Belgique aurait sans doute plus fière allure avec un Didier Reynders à sa barre qu’avec Leterme. Mais l’homme s’est isolé au sud du pays, où il a fait le plein d’ennemis. Au Nord, où il bénéficiait encore récemment d’une grande estime, il insupporte aujourd’hui. Comment en est-il arrivé là ? A-t-il un  » plan B  » ? Son ambition de premier ministrable cache-t-elle d’autres desseins ?

La bave du crapaud, dit le proverbe, n’atteint pas la blanche colombe. Si l’on en croit quelques vilaines langues, celle de Didier Reynders serait même en train de lui retomber sur la tête. N’est-il pas en train de payer ses propos fort peu amènes à l’endroit du PS et du CDH, tenus pendant la dernière campagne électorale et dans les mois qui ont suivi ? De regretter ses allusions perfides au fait qu’il n’y a aucune raison valable pour que le sacre de Premier ministre échoie automatiquement à Yves Leterme (pourtant fort de 800 000 voix de préférence), alors que ce dernier était encore à l’hôpital ? Pour le président du MR, un Premier ministre francophone libéral (suivez son regard) ferait très bien l’affaire. Devant le peu d’enthousiasme – c’est un euphémisme – suscité par une telle éventualité, il laisse entendre urbi et orbi que PS et CDH ont conclu un contrat sur sa tête à lui, Reynders. Non pas que ces deux-là en veuillent à sa vie, mais ils seraient en cheville pour lui interdire l’accès tant convoité au 16, rue de la Loi.  » Il est vraiment persuadé de l’existence d’un tel accord, affirme un ponte libéral. Cela le blesse et le met en rage. Et le renforce dans sa détermination.  » Le problème, c’est qu’il devient esclave de sa paranoïa.  » Parfois, on a des doutes à son propos, confie un membre de son entourage. Alors qu’il est si brillant, il lui arrive de réagir sans la moindre réflexion, l’intelligence réduite à un réflexe pavlovien, seulement animé par sa haine et son appétit du pouvoir.  » Dans les rangs des libéraux francophones, l’heure est aux doutes, pas encore à la révolte.  » Il sait sûrement où il va. Il a une stratégie. C’est ce qu’on espère, en tout cas « , susurre un proche. Avant d’ajouter :  » Quand il a versé des larmes, en décembre, au bureau du parti, en annonçant la mort officielle de l’orange bleue, on a quand même été un peu perturbés.  » Au MR, que certains traduisent désormais par  » Moi Reynders « , on s’y entend en vacheries…

Du côté du PS et du CDH, on nie farouchement avoir fait obstruction à l’accession de Reynders à la tête du futur gouvernement fédéral : cette hypothèse n’aurait, tout simplement, jamais été envisagée. Mais, concède-t-on, l’aurait-elle été que, sans doute, on l’aurait écartée. Ses  » partenaires  » francophones lui reprochent, en ch£ur et en substance, de ne reconnaître d’autre statut à ses interlocuteurs que celui d’ennemis ou d’affidés. De dénigrer, mépriser, détruire ce qui n’est pas à son service. De porter tous les coups pour ne servir que sa propre cause, de ne rien donner mais de tout ramener à lui, de douter de tout le monde sauf de lui-même, d’exécrer autrui autant qu’il s’adore. Bref, l’orgueil aveugle qui, si l’on en croit Sartre, caractérise les grands hommes, conduirait celui-là à sa perte.

Un beau gâchis ou une fine stratégie ?

Dommage. Car l’homme (49 ans) a pour lui sa légitimité électorale et sa carrure politique et intellectuelle. La légitimité électorale ? Le MR a supplanté le PS en Wallonie en juin 2007, ce qui est une victoire remarquable dans une région historiquement marquée à gauche. D’autre part, avec ses 41 sièges à la Chambre, la famille libérale (MR et VLD) est un chouia plus importante que la  » famille  » ( ?) sociale-chrétienne (40 sièges pour le CDH et le CD&V/N-VA). Dernièrement, la N-VA (6 députés), alliée séparatiste du CD&V, a fait savoir qu’elle ne soutiendrait pas le gouvernement qui sera installé en mars. Par conséquent, la majorité parlementaire sera surtout francophone et le MR jouera à jeu égal avec le CD&V (23 élus MR pour 24 élus CD&V) : la famille libérale prendra une sérieuse avance sur les sociaux-chrétiens. Bref, l’intronisation d’un libéral francophone comme Premier ministre, ce ne serait pas un coup bas porté à la démocratie représentative…

Personne ne conteste la carrure politique et intellectuelle de Reynders. Joliment cravaté et élégamment habillé (seules les chaussures, parfois, laissent à désirer), il parle aux gens comme à ses étudiants, à l’université : avec un art éprouvé de la pédagogie et la force de la conviction. Aussi à l’aise à ses réunions Ecofin (qui rassemblent les ministres des Finances européens) qu’à la tribune du Standard. A côté d’un Yves Leterme congénitalement maladroit, perpétuellement gaffeur, plus habitué à fréquenter les kermesses aux boudins flamandes que les hautes sphères politiques, nationales et, a fortiori, internationales, il brille de mille feux. On ne peut s’empêcher de se dire que, vraiment, pour l’image de la Belgique, mieux vaudrait Reynders à sa barre que l’ex-président du gouvernement nordiste.

Tout cela est vrai. Sauf que… Les fées qui se sont penchées sur son berceau ont oublié de lui faire don d’une qualité essentielle : la capacité de se faire aimer. En Flandre, pourtant, il a longtemps eu la cote.  » Voici quelques mois encore, on le portait aux nues chez nous, observe un proche du VLD. Il incarnait la rupture avec le passé wallon socialiste et affairiste, le souffle d’un renouveau. Aujourd’hui, on n’en peut plus !  » Les critiques fusent et les reproches sont à peu de chose près les mêmes qu’on assène au Sud : un narcissisme  » nerveux « , une fascination de soi, un enfermement dans son ego, un nombrilisme exalté, une autopromotion compulsive.  » On en vient même à se poser des questions sur son intelligence, lâche un vilain. Quand on entend Elio Di Rupo sur vos antennes, il parle de « notre pays  » avec des trémolos dans la voix. Joëlle Milquet nous bassine avec une belle opiniâtreté au sujet des « vrais problèmes des gens  ». Didier Reynders, lui, parle de « moi, moi et encore moi ». Terriblement maladroit…  » Chez les libéraux flamands, pourtant, tous ne sont pas si durs : Rik Daems, par exemple, préfère  » un Premier libéral, même francophone, à un Premier flamand d’une autre couleur politique « . Mais on sent bien que la foi n’y est plus… Dans les rangs des autres partis, le rejet est unanime : on lui reconnaît sa belle intelligence, mais aussi son échec à rassembler, à concilier, à se trouver des soutiens. Sa réussite électorale  » is hem naar het hoofd gestegen « , dit-on en résumé. Traduisez : ça lui monte à la tête. Récemment, Mark Eyskens, un  » sage  » du CD&V, lâchait que Reynders devrait se faire soigner ! Si même la  » vieille  » génération, celle des salons lambrissés et des compromis alambiqués, éprouve autant d’inimitié pour notre vice-Premier…

Cela dit, c’est peut-être faire injure au génie politique (si, si) du président du MR que de s’arrêter à ces apparences. Et si Reynders avait un  » plan B « , une stratégie de rechange, une carte dans sa manche ? S’il réclamait le plus pour avoir le moins ? S’il ambitionnait tout simplement, par exemple, d’obtenir davantage de ministres  » bleus  » dans le gouvernement qui devrait être installé le 20 mars ? Il en compte trois aujourd’hui, pourquoi pas quatre demain ? Ou l’un ou l’autre secrétaire d’Etat ?  » Il rêve éveillé, rétorque-t-on au CD&V. Lorsque Guy Verhofstadt passera le flambeau de chef du gouvernement à Yves Leterme, son poste à lui reviendra à un social-chrétien flamand. Il n’y a aucun doute là-dessus.  » Chiche ? Le patron des libéraux francophones pourrait aussi nourrir un autre rêve : celui d’occuper le terrain jusqu’en 2009 et les élections régionales, de damer le pion électoral au  » cartel  » PS-CDH, de se retrouver aux affaires (avec les verts ?) et de devenir ministre-président wallon. Le hic ? C’est que juin 2009, c’est encore loin. Et qu’on gagne rarement deux fois de suite au poker.

Thierry Denoël et Isabelle Philippon

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