Reynders – Michel : l’impasse des frères ennemis

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le MR enterre la hache de guerre mais n’a pas fini de subir la loi dévastatrice de ses pôles contraires. Tôt ou tard, Didier Reynders et les Michel croiseront à nouveau le fer. Didier le surdoué et Louis le père sont trop liés par un appétit féroce pour le pouvoir absolu. Les héritiers de l’omnipotent feu Jean Gol ont été à bonne école.

L’incident est clos.  » Il fallait crever l’abcès « , ose Didier Reynders en signifiant la fin des hostilités. Le MR s’est épargné une révolution de palais pour privilégier la piste des accommodements raisonnables. Reynders y sauve l’essentiel : sa présidence, son cumul avec les Finances, le pouvoir qu’il détient. Tout au plus consent-il à en partager quelques parcelles avec les rebelles à son autorité. Les voilà gratifiés d’un vice-président pour porter leur voix. A Willy Borsus, chef de groupe au parlement wallon, de confirmer qu’il n’est pas là pour faire de la figuration. Le patron confirmé du MR s’en tire à très bon compte. Mais il a bien dû faire un peu de place à son frère ennemi de toujours : l’incontournable Louis Michel, intégré avec Daniel Ducarme au sein du bureau du parti, revient dans le parcours. Par la petite porte. Mais avec un pied dedans, tout de même.

Reynders – Michel : en vingt-cinq ans de coexistence pas toujours pacifique, ces deux-là ne se sont jamais perdus de vue. N’ont jamais cessé de s’épier. De supputer leurs plus noirs desseins. De déjouer leurs pièges. Au besoin, de s’utiliser mutuellement. Leurs relations inapaisées ont pu valoir le meilleur au MR. Mais aussi le pire, et le psychodrame d’aujourd’hui l’a cruellement illustré. Reynders et Michel, ou l’éternelle épreuve de force engagée dans l’ombre d’un disparu dont l’héritage pèse encore sur les libéraux francophones : Jean Gol.

Le  » père  » foudroyé, les blessures de la succession. 18 septembre 1995, un monument s’effondre, foudroyé à 53 ans par une hémorragie cérébrale. Les libéraux francophones perdent brutalement Jean Gol, l’homme qui les dominait de la tête et des épaules depuis quinze ans. Deux hommes se dressent, se sentant appelés à revendiquer la succession du président disparu. Leurs routes ne se sont guère croisées jusqu’alors. Didier Reynders, le surdoué à l’ascension fulgurante, le poulain de Gol qui en a fait un vice-président de parti. Mais surtout son dauphin attitré. Et Louis Michel, alors chef de groupe parlementaire, qui a déjà tenu les rênes du parti aux côtés de l’homme fort du PRL lorsqu’il était ministre. A 37 ans, Reynders croit son heure venue. La consécration ne vient pas. Car les barons du parti, massivement, pressent Louis Michel d’endosser le costume présidentiel. Ils redoutent le jeune ambitieux aux allures de technocrate, coulé dans le même moule du défunt qui pratiquait une opposition sans concessions. Ils lui préfèrent un Michel plus rassembleur et consensuel.  » Didier fondait des espoirs, Louis le savait « , se souvient l’un de ces barons.  » Jean Gol a commis une erreur politique en désignant aussi ouvertement Didier Reynders comme son dauphin. C’était très mal ressenti au sein du parti « , complète un connaisseur du sérail libéral. Michel se fait à peine prier. Devenir le second du président Reynders ? Très peu pour lui ! Les deux hommes se voient, tombent d’accord : Didier Reynders s’efface pour devenir chef de groupe à la Chambre. L’affaire est rondement menée.  » Elle l’a été trop rapidement « , confie un témoin privilégié des événements. Trop vite pour ne pas accréditer la thèse d’un coup de force.  » Louis Michel n’est pas devenu président par la volonté de toute une série de personnes. Il l’est devenu parce qu’il l’a voulu. Si je dois faire un reproche – un seul ! – à Louis Michel sur ce sujet, c’est la manière, le moment choisi : on était en train de s’occuper des funérailles de Jean Gol et lui, il organisait déjà la succession « , confiera par la suite Didier Reynders (1). L’évincé jure ne jamais en avoir tenu rigueur à son rival ni en avoir conçu de l’amertume. Il a surtout l’intelligence et cet instinct de survie politique de ne jamais la manifester.  » Louis Michel a été blessé par les ambitions affichées par Didier Reynders à la mort de Jean Gol « , relève de son côté le journaliste Marc Preyat (2). Premières blessures jamais totalement cicatrisées.  » Ce genre d’épisode laisse forcément des traces, logées dans un coin de la mémoire « , reprend cet ancien ponte du parti.

Le retour au pouvoir : l’entente cordiale entre Louis et Didier. Juin 1999. Les libéraux francophones renouent avec le pouvoir. Jean Gol n’est pas oublié dans l’euphorie du moment :  » Lors du congrès de participation gouvernementale, Louis Michel rend un hommage appuyé au grand absent « , se souvient un participant. Façon habile de récupérer l’héritage du grand homme disparu et de remettre en selle ses fidèles inconsolables. Le pacte de non-agression conclu entre Michel et Reynders puise une nouvelle vigueur dans le confort de la victoire. Le duo monte au gouvernement, l’un aux Affaires étrangères, l’autre aux Finances. Michel reste le boss du MR et s’en est donné les moyens : en 2002, il s’est bombardé  » chef de file gouvernemental « . Les présidents, Ducarme puis Duquesne, ne seront que ses faire-valoir.

L’heure de l’opposition : Reynders brûle la politesse à Michel junior. Juin 2004, le vent électoral devient contraire pour le MR, en Wallonie et à Bruxelles, où les libéraux sont éjectés du pouvoir. Les jours d’Antoine Duquesne à la présidence sont comptés. Mais l’essentiel est ailleurs : Louis Michel accuse le coup, prend du recul avec la politique belge. Après dix ans de règne sur le MR, il devient commissaire européen. Bon débarras ? Ceux qui espéraient pouvoir tourner la page se trompent : car désormais au MR, un Michel en cache un autre. Charles, député à 24 ans, ministre régional wallon à 26 ans, est le fiston qui monte. Et qui déjà mijote sa candidature à la présidence. Quoi ! ? Ce  » fils de « , mal dégrossi et bien trop gâté ? Un accès aussi flagrant de népotisme hérisse dans les rangs du MR. Un contre-feu est opportunément allumé, annonciateur d’une lutte fratricide : Serge Kubla se dit aussi amateur de la fonction. Téléguidé en sous-main ? Le  » crime  » profite pleinement à un certain Didier Reynders. Qui met tout le monde d’accord : il sera ce rassembleur que le parti appelle de ses v£ux. Et pour faire bonne mesure : il sera président mais restera ministre des Finances.  » Ce cumul était pour lui un passage obligé pour ne pas avoir à cohabiter avec Charles Michel « , assure un ex-cabinettard libéral. A 46 ans, Reynders triomphe. Se réapproprie ce qu’il estimait lui être un jour dû, depuis le décès de son mentor. Michel père adoube le nouveau patron :  » Le leader du parti, c’est Didier Reynders. Dans un parti, il ne peut y avoir qu’un seul leader.  » Il a beau jurer ses grands dieux n’avoir roulé pour personne ni rien comploté, l’homme enrage.  » La famille Michel n’a jamais digéré cet échec de ne pas avoir pu imposer Charles « , confie ce ponte MR. Que Reynders y soit pour quelque chose ou non ne change rien à la ranc£ur du paternel. Qui ne tarde pas à lui donner libre cours : à la tribune des Estivales du MR à la veille du sacre de Reynders, Louis Michel crache sa bile sur  » les sous-entendus vipérins répandus par une poignée de vieux potes « , qui ont fait tellement de tort à la cause de son fils.  » Là, les choses se sont corsées « , reprend notre interlocuteur.

Le faux départ de Louis Michel, le cauchemar de Reynders.  » J’entretiens avec le parti des relations d’affection : le parti fait partie de ma vie, presque intime (…) Je suis encore disponible pour 10 à 15 ans (…) Je ne jouerai pas la belle-mère. Mais si on me demande mon avis, je m’exprimerai….  » Voilà Reynders prévenu : il ne cessera de sentir sur sa nuque le souffle rauque de Louis Michel. Le MR reste sa chose, il se refuse à le lâcher. A chaque échéance électorale, c’est la même effervescence : Louis Michel, le retour ? L’intéressé adore laisser planer le doute. Bien sûr, toujours en parfaite intelligence avec son  » ami Didier  » :  » Chaque fois que je fais une démarche, je m’assure que cela ne gêne pas sa stratégie. Je suis parmi ses ouailles celui qui est le plus loyal. Son meilleur allié, son soldat « , clame le père Michel, soucieux de ne jamais empiéter sur les plates-bandes du chef. C’est tellement vrai qu’en pleine campagne électorale en vue du scrutin fédéral de juin 2007, le candidat Michel se verrait bien en Premier ministrable. Se met à rêver tout haut du 16, rue de la Loi que Reynders, et il le sait pertinemment bien, ambitionne tellement de conquérir. Où est le problème ?  » Dans mon parti, nous avons une grande chance, deux personnalités peuvent accéder au  » seize « . Et le premier choix du parti, c’est Didier Reynders.  » Imagine-t-on les présidents Di Rupo ou Milquet tolérer qu’une de ses ouailles osent lui disputer ainsi la fonction tant convoitée ?  » Pour peu que l’on soit parano, dans la droite ligne de Jean Gol, ce genre d’attitudes renforce des réflexes malheureux « , explique un ancien ministre. L’effet est garanti : secrètement agacé, régulièrement mis sous pression, Reynders redouble de méfiance. Se replie sur sa garde rapprochée pour garder jalousement son pouvoir. Et lorsqu’un Louis Michel, solidaire avec son président dans les durs moments qu’il traverse depuis le maintien du MR dans l’opposition régionale, répète, paternel, que  » Didier Reynders ne doit pas avoir peur de moi « , ce dernier a tout lieu de penser exactement le contraire.

 » Fils de l’autre  » : le vrai problème de Charles Michel, le bel atout de Reynders. Le MR a depuis longtemps deux chefs.  » Reynders le jour, Michel la nuit « , résumait l’ex-président du MOC, feu François Martou. Un boss de trop ?  » Au contraire, il en manque d’autres « , glisse un observateur du parti libéral. Tous  » ces autres  » leaders en puissance mais incapables de se révéler ou de s’affirmer, car constamment contraints de choisir leur camp ou leur clan. De se ranger sous la bannière d’un de ces deux hommes jaloux de leur pouvoir. Et qui, chacun à leur façon, ont fait le vide autour d’eux. Didier Reynders ne s’est pas encore désigné un(e) dauphin(e), Louis Michel a déjà le sien.  » Le drame, c’est que ce fils spirituel est surtout son fils physique. Ce qui condamne Charles à un éternel problème de légitimité au sein du parti.  » Reynders le sait. Il vient de repousser l’heure des Michel. En se disant qu’elle ne sonnera peut-être plus jamais.

(1) André Gilain, Louis Michel Portrait en coulisses, éd. Luc Pire.

(2) Marc Preyat, La miraculeuse ascension de Louis M., éd. Labor.

Pierre Havaux; P. Hx

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