Rêves et cauchemars

Avec le robot Curiosity, une nouvelle moisson scientifique commence sur la planète rouge. Laquelle, depuis l’Antiquité, n’en finit pas d’exciter l’imagination des Terriens.

D’abord, elle est rouge. Comme le sang. Et puis, par l’effet de la ronde planétaire, elle s’approche tous les deux ans au plus près de la Terre, décrivant comme une boucle dans le ciel.  » Cet effet de perspective géométrique effrayait les Anciens « , souligne Charles Frankel ( L’Homme sur Mars, Dunod). On les comprend. Depuis l’époque babylonienne, la planète Mars, associée au dieu de la Guerre, inquiète les hommes autant qu’elle les fascine. Et elle est l’objet d’une ribambelle de mythes, qui naissent et meurent au gré des progrès scientifiques.

Le XIXe siècle est particulièrement fertile en fantasmes. En 1877, la première carte détaillée de Mars montre ainsi des lignes, interprétées comme un réseau de gigantesques canaux. L’idée d’une civilisation martienne prend corps. En France, l’astronome Camille Flammarion en est convaincu, tout comme Percival Lowell, un riche Américain qui consacrera les vingt dernières années de sa vie à spéculer sur les Martiens.  » Les observations de Lowell étaient en phase avec l’époque, explique Charles Frankel. Les canaux, comme celui de Suez, étaient alors les symboles de la grandeur d’une civilisation.  » Une analyse partagée par Francis Rocard, directeur du programme d’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes) :  » Les gens pensaient que les habitants de Mars vivaient un cataclysme global, qui les avait conduits à creuser ces canaux pour aller chercher de l’eau dans les calottes polaires.  » Mais, en 1901, un astronome grec met à mal cette théorie :  » Il s’agissait d’une illusion d’optique liée à la mauvaise qualité des instruments de l’époque « , explique Francis Rocard.

Cela n’empêche pas les générations suivantes de continuer à spéculer. En 1921, Guglielmo Marconi, inventeur de la télégraphie sans fil, affirme avoir capté des signaux venus de la planète rouge. En 1938, Orson Welles diffuse, sur les ondes américaines, La Guerre des mondes, récit d’une attaque martienne adapté du livre de H. G. Wells. Panique ! Les standards de la police et des médias sont saturés d’appels d’auditeurs cherchant à savoir comment se protéger des aliens.

Il y a trois milliards d’années, c’est sûr, l’eau a coulé sur Mars

L’année 1947 est, quant à elle, marquée par le prétendu crash d’un ovni à Roswell (Nouveau-Mexique), qui, évidemment, n’a pu venir que de Marsà Apparus en 1926, les magazines de science-fiction dépeignent alors les Martiens comme de petits bonshommes verts aux allures reptiliennes. Du vert sur la planète rouge ?  » A l’époque, cette couleur s’imprimait mieux « , avance, taquin, Charles Frankel. En 1971, la sonde orbitale Mariner-9, envoyée en exploration, dévoile d’anciens lits de fleuve.  » Seul un écoulement d’eau peut expliquer ces images. A ce moment-là, la question de la vie sur Mars resurgit « , souligne Francis Rocard. Les conjectures reprennent de plus belle et sont amplifiées, en 1976, par la diffusion d’une photo d’un immense visage visible à la surface de Mars. Fausse alerte : celui-ci est en fait le fruit du cache-cache entre le relief d’une colline martienne et la lumière rasante du soleilà En 2011, rebelote. Un internaute prend les défauts d’une image pour une base spatiale et crée le buzz.

Une chose est sûre : il y a trois milliards d’années, l’eau a coulé sur la planète rouge, dans des quantités telles que des argiles se sont formées. La Nasa a donc posé son robot Curiosity sur un site argileux, en espérant y trouver des précurseurs de molécules de vie. Mais il faudra creuser :  » La surface est stérile, prévient Francis Rocard. S’il existe toujours une forme de vie primitive, c’est probablement à des dizaines ou des centaines de mètres de profondeur.  » En somme, si les petits bonshommes verts existaient, ils tiendraient plus de la taupe que du reptileà

Denis Delbecq

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