Studio en flammes. © DR

Retour en Bosnie

Dans cette riche édition post-Covid, le KFDA présente Reporters de guerre, de Sébastien Foucault. Un ambitieux spectacle documentaire qui revient sur la guerre en Bosnie et ses suites pour mieux dénoncer la montée actuelle des nationalismes.

Peut-être que je manque d’imagination et que c’est pour ça que je suis tellement fasciné par la démarche documentaire, où le travail est de cadrer le réel. Mais quand on passe à l’écriture ou à la création en plateau, tout s’écroule parce que ce que l’on crée n’a pas le goût de la réalité. C’est là que le traitement artistique s’opère: comment va-t-on transposer, couper, remonter les choses pour qu’elles aient un goût puissant? » Ainsi Sébastien Foucault décrit-il sa démarche, au coeur du premier projet qu’il porte en son nom, Reporters de guerre, revenant sur le siège de Sarajevo et ses conséquences, et présenté au Kunstenfestivaldesarts (1).

On a oublié le conflit en Bosnie! J’ai été extrêmement troublé par cette amnésie.

En matière de théâtre documentaire, Sébastien Foucault a de qui tenir. Cet artiste originaire d’un « désert culturel du nord-ouest de la France » a commencé sur le tard des études d’acteur, à l’Esact, à Liège, où il a eu Françoise Bloch comme professeur: « Françoise était alors à un tournant dans son travail de metteuse en scène: alors que, jusque-là, elle s’était plutôt dirigée vers la farce, avec des auteurs comme Karl Valentin ou Dario Fo, elle a commencé à travailler à partir de films documentaires de Raymond Depardon, sur la restitution du réel à travers l’observation. Je fais partie des étudiants qui l’ont aidée à développer ses nouveaux outils. J’étais alors en troisième année au conservatoire et on ne s’est plus quittés pendant plusieurs années. »

Au programme du KFDA, Mal, de la chorégraphe lisboète Marlene Monteiro Freitas.
Au programme du KFDA, Mal, de la chorégraphe lisboète Marlene Monteiro Freitas.© peter hannemann

Sébastien Foucault participe aux spectacles Grow or Go et Une société de services, jusqu’au moment où il tombe sur une annonce pour le projet théâtral d’un certain Milo Rau: Hate Radio, basé sur une reconstitution des émissions de la Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM) pendant le génocide au Rwanda. « L’ équipe cherchait un comédien blanc car l’un des animateurs de cette radio était Belge d’origine italienne, Georges Ruggiu, précise Sébastien Foucault. Tous les autres acteurs avaient déjà été recrutés, il y avait déjà les plans du studio, l’idée d’aller au Rwanda… Ce projet croisait toutes mes aspirations. » Avec Milo Rau, encore plus ou moins inconnu à l’international à l’époque, ça colle tout de suite et Sébastien Foucault part à Berlin rejoindre l’International Institute for Political Murder, dirigé par le dramaturge suisse. Après Hate Radio (2011), il y aura The Civil Wars (2014) et La Reprise – Histoire(s) du théâtre (partie 1), avec des tournées aux quatre coins de la planète. Quand Milo Rau arrive à la tête du NTGent, le comédien décide de suivre sa propre voie.

Une sorte d’enfer

Pour ses recherches, Sébastien Foucault a commencé à rencontrer, à partir de 2018, des reporters de guerre. « Le spectre était très large à l’époque, puis je me suis focalisé sur la guerre en Bosnie et le siège de Sarajevo, résume-t-il. Parce que ce conflit m’a frappé quand j’étais ado et qu’il fut aussi marquant pour beaucoup de journalistes belges et français que j’avais interviewés. Cette guerre leur a brisé le coeur, elle les a fait descendre pour la première fois dans une sorte d’enfer. Et elle se passait sur le sol européen. »

Alors que le projet a été lancé bien avant les prémices de la guerre en Ukraine, l’actuelle invasion russe résonne évidemment fortement avec Reporters de guerre. « Depuis le début, beaucoup de médias disent qu’il s’agit de la première grande agression armée sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale, s’étonne le metteur en scène. J’ai été extrêmement troublé par leur amnésie. On a oublié le conflit en Bosnie! Ça pose plusieurs questions: est-on condamné à répéter sans cesse les mêmes constats, les mêmes erreurs? N’apprend-on rien de l’histoire? Peut-on apprendre de quelqu’un d’autre? Est-on obligé de traverser soi-même le pire pour apprendre quelque chose? Ces questions taraudent les protagonistes qui ont été les témoins de cette histoire partiellement oubliée. »

La pièce s’intéresse à ce qui s’est passé à l’époque, mais elle est aussi une réflexion sur le journalisme, sur l’art…

Ces témoins, ce sont Françoise Wallemacq, journaliste à la RTBF, qui a couvert le conflit et qui se retrouvera ici pour la première fois sur scène, Michel Villée, alors attaché de presse chez Médecins sans frontières, devenu acteur, marionnettiste et metteur en scène, et Vedrana Bozinovic, ancienne journaliste qui a vécu le siège et est devenue actrice puis directrice artistique du théâtre national de Sarajevo.

« Pour quelqu’un comme Vedrana, c’est terrible de s’apercevoir que le pays pour lequel elle se battait n’est jamais advenu, qu’en Bosnie s’est créé un Etat rongé par un libéralisme brutal et la corruption, où les accords de paix ont figé les positions nationalistes, souligne Sébastien Foucault. Et voir aujourd’hui que la communauté internationale n’a toujours pas de solution et se positionne en spectateur atterré. La pièce s’intéresse à ce qui s’est passé à l’époque, mais elle est aussi une réflexion sur le journalisme, sur l’art, sur ce qui s’est passé depuis trente ans. Avec l’inquiétude profonde que je ressens face à la nouvelle montée des nationalismes et des identitarismes en Europe. » Ou comment, en abordant une tragédie du passé, éclairer autrement le présent et l’avenir pour inciter à la réflexion.

Sébastien Foucault présente Reporters de guerre au théâtre Les Tanneurs.
Sébastien Foucault présente Reporters de guerre au théâtre Les Tanneurs.© dr

(1) Reporters de guerre, au théâtre Les Tanneurs, à Bruxelles, du 10 au 15 mai.

KFDA, la revanche

Après deux années plombées par le coronavirus, le Kunstenfestivaldesarts renoue pleinement avec sa dimension internationale. On retrouve dans la programmation des figures bien connues comme la chorégraphe lisboète Marlene Monteiro Freitas pour un doublé ( Idiota et Mal – Embriaguez Divina), le Brésilien Bruno Beltrão et son Grupo de Rua, la Marocaine Bouchra Ouizguen, l’ Américain Trajal Harrell ou encore la compagnie barcelonaise El Conde de Torrefiel. Quelques nouveaux venus débarquent aussi avec des projets originalement ancrés dans la capitale, comme la Japonaise Satoko Ichihara qui, avec Madama Chrysanthemum, relit l’opéra Madame Butterfly de Puccini à la Tour japonaise de Laeken, ou comme la Péruvienne Daniela Ortiz qui installe son théâtre de marionnettes rassemblant sept animaux tirés de monuments bruxellois au pied du Monument aux pionniers belges au Congo, dans le parc du Cinquantenaire. Du monde à Bruxelles, de Bruxelles au monde.

Kunstenfestivaldesarts, dans divers lieux à Bruxelles, du 7 au 28 mai.

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