Restons ferme dans l’adversité

Le mieux-disant culturel « , vous vous rappelez ? Quand, en 1987, Francis Bouygues avait remporté le combat pour le rachat de TF1, c’était au nom de cette formule magique, style  » Vous allez voir ce que vous allez voir ! Bientôt littérature, films d’auteur et grande musique couleront à flots de votre télé.  » Tout le monde avait fait semblant d’y croire, pour rester poli, mais, bon, on se doutait bien que ça n’allait pas vraiment se passer comme ça.

Près de vingt ans plus tard, TF1 lance la Ferme Célébrités, et Etienne Mougeotte, vice-président de la chaîne, annonce que le programme aura  » un contenu, car les candidats devront vraiment vivre comme au xixe siècle et faire tourner une ferme « . Et, rebelote, on dit :  » Mais oui, Etienne, c’est ça, de la télé-réalité avec un contenu, bien sûr…  »

C’est qu’on l’aime bien, Mougeotte. Avec sa manie, somme toute touchante, de proposer une bonne dose de purin tous les soirs en faisant semblant de croire que c’est du caviar. On l’aime bien, mais on se demande si ses pudeurs de vieille fille ne sont pas un peu surannées. Parce que si quelques millions de spectateurs sont accros au spectacle d’une has been et de quelques has-never-been enfermés entre vaches et cochons, ce n’est pas parce qu’ils s’intéressent au mode de vie dans une exploitation agricole familiale de la fin du xixe siècle. C’est juste parce que la télé leur a promis une heure quotidienne de néant abyssal, de vide intégral, de rien qui lave la tête. Et qu’elle tient ses promesses. Regarder pendant dix minutes un parfait inconnu au look de grande folle se demander s’il va plutôt mettre ses chaussures à hauts talons ou ses chaussures à hauts talons, c’est hallucinant ! Et si c’est enchaîné avec une danseuse qui se lave les dents en temps réel, difficile de ne pas rester scotché en se demandant ce qui va encore nous arriver.

Certes, entre deux néants, il y a parfois des tentatives d’humour, à la Ferme. Mais bon, comme la seule à laquelle j’ai assisté a consisté, pour quelques enfermés, à accompagner un de leurs compagnons devant les toilettes en chantant à tue-tête :  » Il faisait caca debout « , je n’en ai été que plus heureux quand ils en sont revenus à leur vide originel.

Un vide d’où a émergé une star, une vraie : Biquette, la chèvre sur le point d’accoucher qu’il faut veiller chaque nuit. La France entière s’inquiète de sa santé et prend de ses nouvelles :  » Elle a fait quelle température au réveil ? Et les échographies ont donné de bons résultats ? »

Dans son immense bureau de la tour TF1 avec vue panoramique sur tout Paris, Etienne Mougeotte a pris sa calculette : une chèvre, ça ne demande pas 15 000 euros par semaine. Une chèvre, ça ne monte pas sa boîte de production pour gagner plus d’argent. Et il s’est pris à rêver à une émission où il n’y aurait plus d’ex-célébrités. Plus de Dechavanne. Que des animaux. Des poules. Des ânes. Des vaches. Promis, TF1, bientôt, ce sera la chaîne du meuh disant culturel.

marc oschinsky

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