Résidence secondaire: dangereux ou judicieux?

Avec la crise, les opportunités sur le marché du logement ne manquent pas. Mais encore faut-il être sûr d’avoir les conseils utiles et les reins suffisamment solides pour profiter pleinement des aubaines.

France : -10 %, côte belge : -10 % , Portugal : – 15 %, Grande-Bretagne : – 20 %, Irlande : – 30 %, Espagne : – 40 %…. Pour le moment, on brade sur le marché de la résidence secondaire  » clés sur portes « , un marché de niche qui surfe sur une période de près de dix ans de croissance économique et financière ininterrompue. Mais si cette niche offre aujourd’hui des opportunités, est-ce vraiment le moment d’acheter pour la cause ? Ou la dépréciation entamée, vu l’affaiblissement de la demande et la pléthore de l’offre commerciale, n’en est-elle qu’à son premier palier ? Avec cette circonstance aggravante que le marché de la seconde résidence est plus volatil que celui de la première, à court terme du moins.

Victor Matia, fondateur et administrateur de VM2, une jeune société belge de services créée juste avant l’écroulement des marchés immobiliers et spécialisée dans la vente et la gestion des secondes résidences, n’y va pas par quatre chemins :  » Les marchés espagnol et français, ceux où nous voulions être le plus actifs, ont été touchés de plein fouet par la crise. Heureusement pour nous, nous avions été bien capitalisés par Fortis lors de la création de notre société (NDLR : juste avant les problèmes de la banque belgo-hollandaise). Et, fort heureusement aussi, on n’avait pas trouvé sur le marché de quoi épuiser nos lignes de crédit dans des biens à mettre en portefeuille. ç’aurait été une catastrophe : on n’aurait plus eu de liquidités pour attendre que le marché reprenne et on aurait vu le prix des propriétés en portefeuille, achetées au prix fort, fondre comme neige au soleil. « 

Pour autant, lorsqu’il analyse la situation actuelle, Victor Matia ne voit pas tout en noir : certains annoncent un retour d’une inflation forte et les gens recommenceraient à s’intéresser aux investissements immobiliers au soleil avec rentabilité locative, histoire de mettre de côté leur argent avant que cette inflation le grignote.  » Un peu comme pour la Bourse, celui qui achète aujourd’hui en profitant de la décote et du vaste choix qu’il y a sur certains marchés peut faire une excellente affaire d’ici à 3 ou 4 ans. Du moins s’il arrive à avoir un crédit auprès de son banquier « , nuance le patron.

Qui cite, à titre d’exemple, le cas vécu par un de ses clients sur le marché français : pour financer un achat immobilier de 1 million d’euros, seulement couvert par la banque à hauteur de 40 %, il aura fallu six mois d’attente, enquête très approfondie à l’appui, pour aboutir au forceps à signer le contrat. Et le professionnel de lancer au passage un appel aux banquiers pour qu’ils refassent leur métier au plus vite, pour soutenir et relancer l’économie la plus saine.

Ceci n’est pas une seconde résidence

D’après les spécialistes du marché qui n’ont rien à vendre – et donc s’expriment plus franchement sur le sujet -, il y aurait seconde résidence et résidence secondaire. Et pour le même bien visé, selon qu’il s’agisse d’un achat pour usage personnel ou d’un investissement immobilier avec perspective de rentabilisation à court ou moyen terme, la donne est toute différente. Dans le premier cas, pourvu qu’on ait les moyens financiers et que localisation, qualité et statut du bien soient mûrement analysés et cadrés, le marché actuel serait plein d’opportunités : s’il est solvable, l’acheteur a repris la main et a le temps de la réflexion. Dans le second cas de figure, par contre, la crise perdurant, ni la plus-value annuelle du bâtiment ni sa rentabilisation locative ne sont plus vraiment garanties pour l’instant.

 » Lorsque l’on tente d’y voir clair sur le marché de la résidence secondaire en Europe, on se heurte d’emblée à plusieurs problèmes qui viennent brouiller les cartes « , précise Xavier Ortegat, secrétaire général du Réseau européen des professionnels de l’immobilier (CEPI). D’abord, il y a pas mal de marché noir ou gris en jeu, surtout dans certains pays méditerranéens. Certains, parfois, n’ont même pas de cadastre national, comme en Grèce… « 

En un mot, il serait aujourd’hui techniquement impossible de disposer de statistiques de référence comparables :  » Il n’y a tout simplement pas de données consolidées au niveau européen car la propriété reste définitivement une chasse gardée nationale.  » Un terrain de chasse à géométrie très variable où certains brouillent volontairement les cartes ; ou les embellissent, comme l’Espagne pour l’instant.

D’autres, comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas par exemple, ont mis au point des systèmes d’emprunt très particuliers – incomparables aux nôtres – qui ont dopé artificiellement et dangereusement les marchés nationaux ces dernières années : les banques y proposaient ni plus ni moins que d’acheter une partie de la maison financée, avec le danger évident que ce genre de montage présente en cas de renversement de conjoncture, comme aujourd’hui.

Dans d’autres Etats parmi les Vingt-Sept, c’est le cadre fiscal qui est incomparable au nôtre. A titre d’exemple, depuis les années 1990 déjà, des pays comme le Portugal offrent aux étrangers qui souhaitent investir dans une résidence de tourisme en Algarve des incitants fiscaux particulièrement intéressants.  » Parmi les leviers dont disposent encore les Etats nationaux, sans doute ce type de politique fiscale et de cadre financier proactifs sont-ils des moyens stratégiques à prendre en compte aujourd’hui pour inverser la donne actuelle et tirer son épingle du jeu sur l’échiquier européen « , insiste Xavier Ortegat.

Qui s’interroge : qu’en sera-t-il lorsque cette politique financière quittera la sphère étatique pour devenir une compétence cadrée et régulée par l’Union européenne ? Autre motif de préoccupation : la politique louable, de plus en plus drastique, de la même UE en matière d’économies de l’énergie et de protection de l’environnement. Qu’en sera-t-il de la viabilité des vols aériens low cost, moyen de déplacement intrinsèquement lié à l’essor des nouvelles zones de développement de résidences secondaires de tourisme, si le prix du carburant et les taxes y afférant explosent ?

Flou artistique : les Belges également

Autre paramètre de base à prendre en compte : la part invisible de l’iceberg.  » On sait pertinemment que bien plus de 100 000 ressortissants belges (NDLR : certains recensements parlent de 300 000) possèdent une propriété dans l’Hexagone. Or, jusqu’à très récemment, 80 % de ces biens étaient non listés « , précise Xavier Ortegat pour illustrer la difficulté à fournir une photographie correcte de ce marché mal cerné. Et de poursuivre :  » La plupart des achats et constructions-rénovations de maisons concernées sont réalisés sur une base informelle. Impossible donc de les répertorier dûment dans les statistiques officielles. Surtout dans des économies nationales où les zones d’ombre restent fréquentes, comme en Italie, au Portugal, en Grèce ou dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne. « 

Pour Xavier Ortegat, pas étonnant dès lors que le poids du marché de la seconde résidence au sein du parc immobilier européen varie énormément d’une analyse à l’autre. Et il serait même dangereux de parler de résidence secondaire en général sans caricaturer les choses.  » La toute première question concerne les termes employés et on ne peut assimiler seconde résidence, propriété de vacances, de loisirs, de retraite et placement immobilier. Ils ne font pas référence au même et unique marché et ont des destinées variables pour l’instant. « 

Le terme  » seconde résidence  » peut, par exemple, se rapporter à un lieu de résidence complémentaire choisi pour sa proximité avec le lieu de travail lorsque le domicile familial en est éloigné. Un nombre important de personnes travaillent dans une ville capitale, à Berlin, Londres ou Bruxelles (pour des Parisiens), venant de la campagne ou de l’étranger. Ils louent ou achètent fréquemment un petit appartement en ville pour la durée d’un contrat, parfois reconduit. C’est le cas de pas mal de fonctionnaires européens contractuels dans la capitale de l’Europe. Ce type de marché de la seconde résidence est relativement stable et performant. En Europe du Nord, il est fréquent que les gens mettent en location leur première habitation et occupent leur résidence secondaire, histoire de rentabiliser leur propriété sur le marché immobilier le plus porteur.

Rien à voir, par exemple, avec le marché espagnol de la résidence de vacances, un marché de nouveaux développements typés, très focalisé en bord de mer, ciblant majoritairement la clientèle étrangère et donc passablement mal en point pour l’instant. Selon le CEPI, depuis 2007, pas moins de 750 000 nouvelles constructions ont été lancées chaque année en Espagne, dont 20 % seulement ont été achetées conjointement par des Espagnols et des étrangers. A l’opposé, on recense 1,75 million de secondes résidences en Grèce pour 3,5 millions de propriétés, soit de loin le taux le plus élevé en Europe. De 7 à 9 % de ces propriétés seraient inoccupées et le taux d’investisseurs étrangers serait particulièrement faible.

Malgré ces deux exemples méditerranéens, le marché de la seconde résidence est loin de se cantonner aux régions ensoleillées ou aux zones géographiques côtières. Et il est intéressant de noter que la République tchèque, par exemple, compte pas moins de 430 000 secondes résidences pour 4,5 millions de propriétaires, soit quasi un dixième du parc immobilier national.

Plus près de chez nous, sur le premier marché français de la seconde résidence au soleil, à la mer et à la montagne, les promoteurs immobiliers feraient pour l’instant le gros dos, selon Victor Matia (VM2).  » Ils affichent des rabais qui vont jusqu’à 15 %, mais ils ne vendent plus rien. Et la question, là aussi, est de savoir combien de temps les banques vont encore les soutenir avant de resserrer l’étau. Si la banque veut récupérer son argent et argue d’une perte de confiance, ça risque de faire mal.  » La saison 2009 se termine maintenant pour le marché de la seconde résidence ; et on ne peut pas dire que le bilan soit terrible, côté activité… Les vendeurs seraient majoritaires partout.

Stock important à vendre à la côte belge

Pour expliquer cette volatilité, les arguments ne manquent pas. Tout d’abord, les résidences secondaires ne sont pas vitales pour le consommateur. Ce dernier est donc plus enclin à s’en séparer rapidement et à un prix sacrifié pour se refaire une santé financière. Surtout si les rendements qu’elles offrent fondent comme neige au soleil. Même la côte belge offre pour l’instant un stock anormalement élevé de secondes résidences à vendre. Vu le profil des biens, la demande est davantage spéculative et opportuniste ; et les prix y chutent plus rapidement qu’ailleurs dans le pays. Sur un micromarché comme Ostende, qui jouissait il y a peu encore d’une clientèle anglaise aisée à la recherche d’appartements neufs, l’effet de la crise a été direct, doublé par le renchérissement de la livre sterling par rapport à l’euro.

Côte d’Opale et baie de Somme : forte baisse sur un an

Un phénomène également tangible sur les côtes françaises voisines (Opale et baie de Somme). Conséquence directe : une baisse sensible des prix des maisons sur un an largement supérieure à la moyenne nationale dans les départements à haute fréquentation touristique, et cela du sud (Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon : -14 %) au nord (Basse-Normandie : -15 %). Sur une base annuelle toujours, à l’échelle de l’Hexagone, les derniers chiffres sur l’évolution de la production de crédits (avec correction de l’évolution des prix) fait ressortir un recul de l’activité de près de 30 % ! Soit près d’une transaction sur trois réalisée en moins par rapport à l’an passé à la même époque. C’est dire si l’acheteur a aujourd’hui l’embarras du choix…

Mais les problèmes sont plus criants encore dans certains pays où la résidence secondaire a été survendue comme produit d’investissement durant les années de croissance. Une réalité rencontrée dans les pays membres de l’UE fraîchement intégrés et offrant côtes et soleil, comme la Croatie, la Bulgarie et la Roumanie, ou dans ceux qui ont connu une spéculation financière et immobilière excessive, comme l’Irlande. Dans ces pays respectifs, la décote dépasse parfois allègrement les 30 %. Et l’activité est réduite de moitié.

Victor Matia, qui revient d’Espagne, parle de dizaines de milliers de fermetures d’agences immobilières. Selon lui, les intermédiaires, partout en Europe, qui doivent continuer à communiquer pour survivre, vont souffrir. Mais l’hécatombe ne s’arrête pas là : les banquiers des promoteurs immobiliers en banqueroute, qui ont signé parfois pour de très gros financements, commencent à avoir de gros portefeuilles immobiliers qu’il faut valoriser au plus vite.  » Pour 25 millions d’euros prêtés à un promoteur pour un projet immobilier, elles sont parfois prêtes à revendre à 15 millions. Il y a donc des coups à faire aujourd’hui si on peut attendre quelques années avant de prendre son bénéfice à la revente « , insiste-t-il.

Le spécialiste dresse un bilan différencié selon que le bien à vendre est ancien ou neuf. Selon lui, sur les plages espagnoles, le marché de la seconde résidence ancienne a subi une perte de valeur pouvant aller, selon les cas, jusqu’à 50 %.  » Aujourd’hui, lorsque les propriétaires baissent leur prix de 30 %, on recommence à discuter ; on ne signe pas encore. Mais sur le marché du neuf, c’est dramatique pour l’instant…  » l

philippe coulée

« On n’assimile pas seconde résidence à usage personnel et placement immobilier »

sur les plages espagnoles, la perte de valeur peut aller jusqu’à 50 %

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